Critiques Cinéma

IMPITOYABLE (Critique)

SYNOPSIS : Kansas 1880. William Munny, redoutable hors-la-loi reconverti dans l’élevage va, à la demande d’un jeune tueur, reprendre du service pour venger une prostituée défigurée par un cow-boy sadique.

Unforgiven de Clint Eastwood est un chef-d’œuvre du western crépusculaire, une déconstruction minutieuse et implacable des mythes qui ont façonné l’imaginaire de l’Ouest américain. Le western a toujours été un genre propice à la mythologie, à la glorification de figures héroïques maniant le revolver avec panache et justesse pourtant pour son dernier western Eastwood en expose la brutalité, l’immoralité et les mensonges qui ont façonné l’image du Far West. Le scénario de Unforgiven, signé par David Webb Peoples (Blade Runner, Twelve Monkeys), a connu un parcours tortueux avant de devenir le chef-d’œuvre que l’on connaît. Initialement optionné par Francis Ford Coppola, il fut finalement acquis par Clint Eastwood, qui choisit de le conserver précieusement durant plusieurs années. Le cinéaste ne souhaitait pas tourner ce film avant d’avoir l’âge approprié pour incarner le personnage principal, William Munny. Lorsque le film voit enfin le jour en 1992, il vient refermer définitivement la boucle d’une carrière passée à réinterpréter les figures du western, du cow-boy sans nom des films de Sergio Leone à l’anti-héros vieillissant qu’il campe ici.

Il y a eu, au cours de la riche histoire du western, de nombreux films révisionnistes explorant la conquête de l’Ouest ou les guerres indiennes, mais The William Munny Killings (titre initial du scénario) va plus loin en offrant la déconstruction la plus méthodique des figures de gunslingers, qu’ils soient bandits ou héros, réglant leurs comptes à coup de duels et de revolvers. Dans la réalité, ces hommes n’étaient que des sociopathes ivrognes ou des lâches prêts à tuer des adversaires désarmés ou d’être engagés pour massacrer des ouvriers sous contrat avec les compagnies de chemins de fer pour quelques dollars. William Munny, héros du film, fut autrefois l’un d’entre eux, un assassin sans pitié. Il tente d’expier ses crimes en menant une existence misérable de fermier veuf, s’occupant tant bien que mal de ses cochons malades et de ses enfants. Mais le passé ne disparaît jamais tout à fait, et lorsque Schofield Kid,, vient le chercher pour une ultime mission, l’ancien tueur reprend la route, accompagné de son ami Ned Logan.

Unforgiven brise également le romantisme de la violence qui a longtemps imprégné le genre. Schofield Kid, qui se vantait d’être un redoutable tireur, en réalité un paumé myope, se révèle incapable de supporter le poids de son premier meurtre. Ce réalisme cru, débarrassé de tout glamour, trouve un écho dans la manière dont la légende des hors-la-loi se construit de leur vivant. English Bob, un aventurier arrogant qui se donne des airs d’aristocrate britannique tout en cachant sa propre lâcheté (Richard Harris parfait, oscillant entre arrogance et veulerie) est suivi par son biographe W.W. Beauchamp, un homme couard qui embellit ses récits et qui finira par se tourner vers un autre sujet plus impressionnant : le shérif Little Bill Daggett. Interprété avec une brutalité glaçante par Gene Hackman, Little Bill Daggett, le shérif de la ville de Big Whiskey est le vrai méchant du film. Tous les personnages se mentent à eux-mêmes et cachent leur nature violente ou psychotique derrière une façade trompeuse. Mais Daggett incarne cette hypocrisie dans sa forme la plus perverse. Il se veut garant de l’ordre et de la loi, mais il démontre une cruauté et un sadisme sans bornes, utilisant la violence au nom de la justice tout en s’assurant d’être celui qui dicte les règles. Comme Munny, il affirme avoir changé et désormais rejeté son passé criminel. Pourtant, il se révèle sadique, démolissant English Bob en public et écrivant sa propre version de l’Histoire à travers les pages de Beauchamp. Lorsqu’on fait la connaissance de William Munny, il est un vieil homme brisé, perdu dans une ferme misérable où il élève ses enfants et tente d’élever des cochons malades. Il n’a plus touché une arme depuis des années et insiste sur le fait qu’il a changé. Pourtant, le simple fait qu’il doive le répéter sans cesse prouve que son ancienne nature sommeille en lui, prête à resurgir à la première occasion. Clint Eastwood donne à William Munny une intensité dramatique rare, jouant avec un regard hanté, une posture lourde et une voix usée qui traduisent le poids de ses crimes passés. À l’inverse, Ned Logan a réellement évolué. Il boit encore, mène une existence paisible, mais lorsqu’il s’engage dans la quête vengeresse avec Munny, il est incapable d’appuyer sur la gâchette. Il est l’un des rares personnages à démontrer une sincère volonté de rédemption. Morgan Freeman, l’incarne avec une sobriété et une humanité bouleversantes, apportant une note de sagesse et de désobéissance morale face à la barbarie ambiante.

Le film est habilement construit sur un paradoxe : il critique la violence tout en mettant en scène une dernière séquence d’une brutalité jouissive. Le film entretient une ambiguïté dérangeante. Le spectateur attend inévitablement le retour de la brutalité de Munny, et lorsqu’il l’accomplit, l’effet est à la fois jouissif et glaçant. Dans la scène finale, Clint Eastwood convoque une dernière fois l’image du vengeur spectral et impitoyable, un archétype qu’il a incarné dans High Plains Drifter et Pale Rider. Cependant, la mise en scène transforme cette catharsis en descente aux enfers. Il abat ses ennemis sans hésitation, y compris un homme sans défense. Ce qui aurait pu être un triomphe devient une séquence cauchemardesque où le héros est démasqué comme un monstre. La scène où il boit un verre de whisky, acceptant pleinement son retour à la violence, marque un point de non-retour. La mise en scène d’Eastwood se distingue par par sa sobriété, sa précision et son efficacité. Il privilégie une approche réaliste, voire austère évitant toute surenchère et filmant la violence de façon brute, sans emphase musicale ou ralentis. Les séquences de duel ne sont pas des affrontements épiques mais des exécutions expédiées, filmées avec une sécheresse implacable. Le travail du directeur de la photographie Jack N. Green (Bird, The Bridges of Madison County) accentue cette atmosphère en jouant sur des lumières tamisées et une palette de couleurs terreuses. La pluie battante qui accompagne la séquence finale accentue encore davantage la noirceur de l’œuvre et confère à la scène un aspect quasi mythologique, tout en déconstruisant les codes esthétiques du western classique. Conçus par Henry Bumstead (Vertigo, Mystic River), les décors offrent une vision brute et réaliste de l’Ouest, loin des paysages idylliques des films de John Ford. La ville de Big Whiskey est loin des cités légendaires du genre : c’est un endroit sale, misérable, dominé par la peur et la corruption. Little Bill, censé être un bâtisseur, passe son temps à construire une maison qui semble à peine tenir debout, symbole de son échec à instaurer un véritable ordre. Conclusion : Unforgiven est un sommet du western moderne, une réflexion sur la violence, le mythe et la réalité des figures de l’Ouest. Avec ce film, Clint Eastwood clôt une époque et signe son testament au genre qui l’a rendu célèbre, en dévoilant la face sombre de ses héros et en enterrant définitivement le mythe du cow-boy invincible. Il questionne la légitimité de la violence, y compris celle qu’il avait glorifiée dans ses précédents films, et montre que la ligne entre le héros et le monstre n’a jamais été aussi fine. Plus de trente ans après sa sortie, Unforgiven demeure l’une des plus grandes réussites du cinéma américain.

Titre Original: UNFORGIVEN

Réalisé par: Clint Eastwood

Casting : Clint Eastwood, Gene Hackman, Morgan Freeman …

Genre: Comédie dramatique

Sortie le : 12 Septembre 1992

Distribué par: Warner Bros. France

5 STARS CHEF D'OEUVRECHEF-D’ŒUVRE

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