Critiques Cinéma

LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND (Critique)

SYNOPSIS Pendant la Guerre de Sécession, trois hommes, préférant s’intéresser à leur profit personnel, se lancent à la recherche d’un coffre contenant 200 000 dollars en pièces d’or volés à l’armée sudiste. Tuco sait que le trésor se trouve dans un cimetière, tandis que Joe connaît le nom inscrit sur la pierre tombale qui sert de cache. Chacun a besoin de l’autre. Mais un troisième homme entre dans la course : Setenza, une brute qui n’hésite pas à massacrer femmes et enfants pour parvenir à ses fins

Il existe deux types de personnes dans ce monde : celles qui ont vu Le Bon, la Brute et le Truand, et celles qui ne l’ont pas encore vu. Dernier opus de la trilogie dite du dollar, Le Bon, la Brute et le Truand marque un tournant dans le cinéma de Sergio Leone (Il était une fois dans l’Ouest, Il était une fois en Amérique). Si Leone lui-même affirmait que ses films ne formaient pas une trilogie à proprement parler, la continuité visuelle et thématique est indéniable, notamment à travers la présence du personnage campé par Clint Eastwood (Pale Rider, Impitoyable). Ce dernier, vêtu du même poncho et arborant le même flegme légendaire, semble évoluer dans un monde qui précède chronologiquement les événements des deux films précédents. En effet, à la fin du film, il revêt son célèbre poncho, comme si le film servait d’origine à son personnage iconique. Ce troisième volet représente également l’aboutissement du style de Leone, qui, fort du succès de Pour une poignée de dollars et Et pour quelques dollars de plu, se voit offrir un budget conséquent par United Artists pour réaliser son œuvre la plus ambitieuse. Cette ampleur nouvelle s’accompagne d’une réflexion plus profonde sur la guerre et la condition humaine, un thème que le cinéaste développera encore dans ses œuvres ultérieures.


Dès les premières images, Le Bon, la Brute et le Truand s’impose comme une fresque épique où la cupidité, la trahison et la survie s’entrelacent sur fond de Guerre de Sécession. Les trois protagonistes – Tuco (Eli WallachLes Sept Mercenaires, Le Parrain III) bandit impulsif et rusé, Angel Eyes (Lee Van CleefLes Douze Salopards, New York 1997) tueur implacable et Blondin (Clint Eastwood) pistolero énigmatique à la morale ambiguë – incarnent chacun une facette du monde sans foi ni loi dans lequel ils évoluent. Wallach, en particulier, crève l’écran en conférant à Tuco une épaisseur inattendue, oscillant entre humour, tragédie et désespoir. Dès l’ouverture du film, chaque personnage est introduit par une scène emblématique qui le définit immédiatement. La mise en scène de Leone joue habilement des contrastes entre plans larges et gros plans, donnant au film un souffle lyrique inégalé. Ce style trouve son apogée dans le duel final, où les regards et la tension dramatique priment sur l’action brute. La fameuse scène du cimetière, où Tuco court frénétiquement parmi les tombes au son de L’Extase de l’or, est un pur moment de cinéma, sublimé par la musique envoûtante de Ennio Morricone (Il était une fois dans l’Ouest, Mission).


Si Clint Eastwood incarne avec brio l’archétype du cow-boy taciturne, et si Lee Van Cleef campe un antagoniste aussi sadique que méthodique, c’est bien Eli Wallach qui vole la vedette. Son Tuco, personnage à la fois grotesque et touchant, est l’élément chaotique qui empêche le film de sombrer dans le manichéisme. Malgré son surnom, « l’Affreux en anglais », il est paradoxalement le plus humain des trois, tant ses émotions sont sincères et palpables. Le scénario, truffé de dialogues ciselés et de répliques devenues cultes, repose en grande partie sur l’alchimie entre ces trois figures iconiques. Loin d’être une simple chasse au trésor, l’histoire se double d’une réflexion acerbe sur la guerre et ses absurdités. La Guerre de Sécession, rarement exploitée dans le western italien, est ici un décor omniprésent, dépeint avec un réalisme cru. Leone ne cache pas son mépris pour la guerre, la présentant comme un engrenage destructeur où personne n’est véritablement vainqueur et annonce les fresques historiques que le cinéaste réalisera par la suite. La représentation de la Guerre de Sécession ici se rapproche bien davantage des guerres totales européennes qui a dominé le début du XXᵉ siècle. On y trouve des tranchées, des soldats désillusionnés, des camps de prisonniers brutaux, des villes ravagées et des impasses stratégiques.

D’un point de vue formel, Le Bon, la Brute et le Truand est une démonstration de maîtrise cinématographique. La photographie de Tonino Delli Colli (Il était une fois dans l’Ouest, Le Nom de la Rose) magnifie les paysages arides de l’Espagne, transformant ces décors naturels en un Far West mythifié, à la fois majestueux et impitoyable. Le montage précis et la gestion du tempo narratif confèrent au film un rythme hypnotique, où chaque scène semble minutieusement chorégraphiée. Mais c’est surtout la musique d’Ennio Morricone qui confère au film son statut d’œuvre intemporelle. Le célèbre thème principal, composé de simples notes sifflées et de percussions tribales, est immédiatement reconnaissable et est devenu indissociable du western spaghetti. La bande-son ne se contente pas d’accompagner l’action : elle en est une composante essentielle, accentuant chaque regard, chaque silence, chaque explosion de violence. Le point culminant de cette fusion entre son et image est atteint lors de la séquence de L’Extase de l’or, où la caméra tournoie autour de Tuco courant dans le cimetière, tandis que la musique s’élève dans un crescendo étourdissant. La scène finale, où les trois hommes se font face dans un duel d’anthologie, est un pur moment de cinéma, une démonstration de mise en scène qui a marqué des générations de cinéastes. Chef-d’œuvre absolu du western, Le Bon, la Brute et le Truand transcende son propre genre pour atteindre une dimension mythique. À travers ses personnages mémorables, sa mise en scène virtuose et sa bande-son inoubliable, le film continue d’exercer une fascination indélébile sur les spectateurs, plus d’un demi-siècle après sa sortie. Si le western traditionnel a vécu ses dernières heures avec l’avènement du cinéma de Sergio Leone, c’est bien parce que ce dernier en a repoussé les limites, imposant un style inimitable qui continue d’inspirer les cinéastes du monde entier. Un mythe cinématographique qui, à l’image de son héros taciturne, traverse les époques sans prendre une ride.

Titre Original: IL BUONO, IL BRUTTO, IL CATTIVO

Réalisé par: Sergio Leone

Casting : Clint Eastwood, Lee Van Cleef, Eli Wallach…

Genre: Western

Sortie le : 8 mars 1968

Distribué par: –

5 STARS CHEF D'OEUVRECHEF-D’ŒUVRE 

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