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LOST BOYS & FAIRIES (Critique Mini-Série) Rare, précieuse et bouleversante…

SYNOPSIS : Gabriel, drag queen, et Andy, expert-comptable, forment depuis huit ans un couple heureux. Considérant qu’il est temps de fonder une famille, ils décident de se lancer dans la grande aventure de l’adoption. Pour cela, ils doivent d’abord passer devant une assistante sociale, chargée d’évaluer leurs aptitudes à devenir parents. Or le parcours de Gabriel est délicat : ancien toxicomane, il entretient une relation difficile avec son père, qui n’a jamais accepté son homosexualité…

Parmi les productions télévisuelles récentes, Lost Boys & Fairies s’impose comme une œuvre rare, précieuse et bouleversante. Mini-série britannique en trois épisodes d’environ une heure chacun, récompensée l’année dernière au Festival de la fiction de La Rochelle, elle suit a priori un couple gay, Gabriel et Andy, dans leur parcours d’adoption. Mais résumer la série à ce simple synopsis serait terriblement réducteur. Lost Boys & Fairies dépasse largement les frontières du drame social ou familial qui serait restreint à un sujet d’adoption ou d’homosexualité : c’est une fresque humaine d’une richesse émotionnelle inouïe, mêlant comédie, drame, performances musicales flamboyantes et introspection. Ce mélange subtil de tons et de styles en fait une véritable pépite, comme on en voit trop rarement. Nourrie en partie de l’histoire personnelle de son créateur, Daf James, la série se distingue aussi par sa sensibilité politique et générationnelle, et par son regard lucide sur les complexités identitaires. À travers le personnage de Gabriel, incarné magistralement par Daniel Sion Young, elle explore des thématiques profondes comme la reconstruction de soi, le deuil, les séquelles de l’enfance, et l’amour sous toutes ses formes. Ce qui frappe immédiatement dans Lost Boys & Fairies, c’est son audace et sa création stylistique. La série assume avec panache sa forme hybride : des performances musicales somptueuses ponctuent le récit, offrant des respirations oniriques ou cathartiques. Ces moments, jamais gratuits, participent pleinement à l’émotion et au propos. Les costumes (superbes) et les chansons, interprétées avec une sincérité poignante transforment certains passages en véritables morceaux de bravoure. Mais loin de n’être qu’un exercice de style, l’aspect musical soutient ici un récit profondément ancré dans la réalité qui va de pair avec l’emploi de Gabriel qui performe dans un bar, le Neverland (vous l’aurez remarqué, les références à Peter Pan sont nombreuses). La série ose aborder des thématiques souvent taboues sans jamais tomber dans le didactisme ou la caricature.

Gabriel, finalement le personnage central, est un homme complexe, abîmé, qui lutte pour s’ouvrir à l’amour parental malgré un passé douloureux. Anciennement en proie à des addictions, victime de harcèlement scolaire, marqué par la perte de sa mère et une relation conflictuelle avec son père, Gabriel s’est construit une armure pour survivre. Et c’est cette carapace, faite de répliques acérées, d’autodérision et d’expansivité, que la série va peu à peu fissurer. Ce personnage, tout en paradoxes, est porté par une interprétation remarquable de Daniel Sion Young, à la fois fragile, lumineux et bouleversant. À ses côtés, les seconds rôles ne sont pas en reste, chacun existe, chacun a son moment, sa vérité, même dans les apparitions les plus brèves. On sent une écriture fine et profondément respectueuse des personnages, de l’importance de les rendre présents pour en faire un entourage crédible, qui contribue à créer un écosystème dans lequel on se sent immédiatement chez nous. Mais Lost Boys & Fairies ne se contente pas de raconter une histoire émouvante, elle pose aussi un regard critique et nuancé sur les mutations de la société contemporaine et du militantisme queer.

Certains personnages expriment un sentiment d’incompréhension ou de décalage face à une communauté LGBTQ+ qu’ils trouvent parfois trop radicale, trop codifiée ou trop en colère. Elle donne à voir cette fracture générationnelle, ces malaises diffus, tout en conservant une foi profonde en la nécessité d’aimer et de comprendre. On a été particulièrement touchés par la manière dont la série montre que Gabriel, qu’on pourrait croire le plus fragile, est en réalité celui qui ose affronter les vérités les plus dures. Il dit les choses désagréables à haute voix, il ne cède pas aux faux-semblants, quitte à heurter. Il est cette voix désabusée mais sincère, souvent drôle, parfois brutale. Ce regard franc sur le monde est une des grandes forces de la série. Et puis, il y a l’émotion, omniprésente, poignante, qui nous cueille sans prévenir. Certains éléments du scénario, inattendus, vous laisseront certainement en larmes. Mais jamais la série ne verse dans le pathos. Elle préfère l’intelligence émotionnelle. On y pleure, on y rit, on y chante, c’est la vie, la vraie, dans toute sa complexité.


Lost Boys & Fairies est une réussite absolue. Bien plus qu’une série sur l’adoption ou sur un couple gay, c’est une fresque de vie puissante et universelle, qui parle de l’enfance qu’on n’a pas eue, de celle qu’on veut offrir, de la façon dont on survit à ses blessures pour transmettre autre chose. Elle parle aussi du deuil, de la dépression, de la solitude, mais surtout de la lumière qu’on trouve malgré tout. Ce qui rend cette œuvre encore plus précieuse, c’est qu’elle est née d’une expérience personnelle sincère, celle de Daf James, qui s’est appuyé sur son propre parcours de père adoptif et sur ses blessures passées pour écrire cette histoire. Et cela se sent : la série déborde de vérité, d’émotion brute, de vécu. Chaque épisode nous plonge dans un tourbillon d’émotions, sans jamais perdre sa cohérence ni sa justesse. Déjà disponible sur arte.tv, vous pourrez la retrouver en diffusion ce jeudi sur Arte.

Crédits : Arte

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