Critiques Cinéma

DEUX PROCUREURS (Critique)


SYNOPSIS : Union Soviétique, 1937. Des milliers de lettres de détenus accusés à tort par le régime sont brûlées dans une cellule de prison. Contre toute attente, l’une d’entre elles arrive à destination, sur le bureau du procureur local fraîchement nommé, Alexander Kornev. Il se démène pour rencontrer le prisonnier, victime d’agents corrompus de la police secrète, la NKVD. Bolchévique chevronné et intègre, le jeune procureur croit à un dysfonctionnement. Sa quête de justice le conduira jusqu’au bureau du procureur-général à Moscou. A l’heure des grandes purges staliniennes, c’est la plongée d’un homme dans un régime totalitaire qui ne dit pas son nom.

Sergei Loznitsa, le prolifique réalisateur de Deux procureurs est à n’en point douter le plus grand réalisateur ukrainien de l’après-guerre autant pour ses fictions que pour ses documentaires. Un cinéaste qui a ses habitudes sur la croisette, avec My Joy en 2010, Dans la brume en 2012 qui a reçu le prix FIPRESCI, Une femme douce en 2017 et Donbass en 2018, récompensé du prix de la mise en scène dans la section Un Certain Regard. Le cinéaste exilé à Berlin revient au Festival de Cannes en cette année 2025 avec Deux procureurs, qui est l’adaptation d’une nouvelle de Georgy Demidov, physicien arrêté en 1938 et qui est resté 14 ans au goulag. Le film commence à peine, les portes de la prison s’ouvrent et il est affiché au spectateur pour se repérer dans le temps : « URSS, 1937, à l’époque de la terreur stalinienne« .  Avec Deux procureurs, il est question d’une véritable quête au sens premier du terme, avec une trame narrative assez fascinante, qui se fait un peu écraser par la forme ensuite. Mais clairement les premières minutes sont profondément fortes, et viennent tout de suite nous dire que le jeune Kornev ne lâchera rien. Preuve en est l’échange lunaire qui va se mettre en place avec le directeur de la prison, une forme d’ersatz caricatural du totalitarisme. Tout de suite, Loznitsa pose les jalons de son cinéma car chaque moment, dialogue, geste va être ciselé, calculé et développé. Tout doit faire sens et aboutissement pour le cinéaste.

Avec le procureur Kornev, c’est aussi le spectateur qui pendant cette longue première partie va vivre cette expérience très immersive de l’enfermement. Les incessants bruits de clés sont interminables, puis les grincements de l’acier rouillé, des cris de mutilations au loin, jusqu’au corps torturé du prisonnier Stepniak dont il serait absurde que le spectateur soit épargné. Tout y passe, les sensations en salle sont intenses. C’est alors le début de la puissante démonstration de ce que le totalitarisme peut produire de pire, avec clairement en proximité des accents kafkaïens. La pire des dictatures bureaucratiques pour implacablement mettre en œuvre les grands massacres.

C’est aussi le début de la descente aux enfers pour Kornev, broyé par l’horrifique système Stalinien. Une chute sans fin, dont on pressent une angoissante conclusion. Car à bien y réfléchir, du point de vue de ce système presque sans failles, rien que sa présence est une fondamentale erreur qu’il conviendra de réparer. Il ne fait pas bon dans un système aussi écrasant afficher une quelconque velléité de contestation, qu’elle soit ou non institutionnelle. Évidemment, la résonance est totale avec cette infernale mécanique de la peur pour des populations tout le temps mieux armées intellectuellement que leurs dirigeants, mais ce n’est pas avec ce type de munitions que l’on gagne les guerres.

La mise en scène est fatalement très sombre, l’image lourde, souvent grise, avec ce grain lui aussi comme annonciateur de grands maux. Pour autant, il existe quelques moments presque amusants, alors que dès le début on se dit pourtant qu’on ne va pas trop se marrer. C’était après avoir oublié, que dans la dictature bureaucratique, se nichent très régulièrement de grands moments d’absurdité. Au casting, on retiendra bien sûr la performance de Aleksandr Kuznetsov dans le rôle du Procureur Kornev. Autant discret dans sa prestance physique que déterminé dans son vain combat héroïque, l’acteur ukrainien joue à merveille sur la permanence de ce contraste et réussit à émerger malgré la force du message et la massivité formelle de l’œuvre. Au final, s’il convient d’accepter certaines longueurs, ce qui est incontournable pour de tels longs-métrages de démonstration, Deux procureurs autant pour ce qu’il dit d’hier et d’aujourd’hui que pour sa pure qualité filmique est un film à voir en salle, une expérience dont on se souviendra !

Titre Original: ZWEI STAATSANWÄLTE

Réalisé par: Sergei Loznitsa

Casting : Aleksandr Kuznetsov, Aleksandr Filippenko, Anatoliy Belyy …

Genre: Drame, Historique

Sortie le: 24 Septembre 2025

Distribué par: Pyramide Distribution

 TRÈS BIEN

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