Critiques Cinéma

ENZO (Critique)

SYNOPSIS : Enzo, 16 ans, est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C’est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu’Enzo va entrevoir un nouvel horizon.

Enzo, c’est de toute façon un film événement. Neuvième et dernier film écrit par Laurent Cantet, décédé en 2024, à qui l’on doit notamment Entre les murs qui a tout simplement été récompensé par la Palme d’or en 2008. Enzo a été co écrit avec son fidèle complice, Robin Campillo. Ce dernier, réalisateur de 120 battements par minute (2017), a assuré la mise en scène de cette dernière œuvre de son ami. Laurent Cantet était prêt à tourner, Robin Campillo est venu finaliser le projet. C’est tout naturellement qu’Enzo va donc ouvrir non sans cette émotion la Quinzaine des Cinéastes à Cannes en 2025.


Enzo, c’est typiquement le film de récit et d’apprentissage avec un adolescent qui semble comme insaisissable. La promesse d’émotion sur le papier se tient haute sur l’écran. Ce portrait d’un adolescent qui ne veut pas se laisser enfermer est saisissant d’authenticité et la puissance empathique de l’œuvre vient nous rappeler cet âge de tous les possibles oui, mais de tous les incessants questionnements. C’est sur tous les sujets pour un jeune homme qui cherche une place. Comme une quête perpétuellement inassouvie, qui va l’amener sur le terrain de l’opposition souvent très frontale avec son père. Car si forcément Enzo semble ne trouver cette place nulle part, c’est encore plus vrai en famille, accusée de tous les maux, alors que le spectateur est tenté à plusieurs reprises de souffler au jeune homme : « Hé, ça va, c’est pas si pire !!« . Mais pas besoin de vivre chez les Thénardier pour que sa sensibilité soit exacerbée. Enzo va donc s’organiser pour faire péter la cellule familiale et tous les rendre fous. Il va faire maçon, comme en réponse directe à l’aisance financière parentale. Si on s’érige toujours un modèle ou contre modèle, le jeune va ici pousser tous les curseurs, dans ce refus d’assignation, pour éviter le modèle préétabli, comme celui que semble emprunter son frère vers une grande école. Il demandera même dans un moment assez hors sol (il est d’ailleurs en voiture avec sa mère) le salaire de ses parents pour bien se faire confirmer qu’ils sont suffisamment friqués, pour que lui puisse tout faire pour ne pas l’être.


Enzo ne se vit pas dans le plaisir de juste être vilain petit canard, mais exprime là à la face du monde son besoin de liberté, de brisure d’un carcan. C’est toute la question d’échapper à la reproduction sociale pour avoir le sentiment d’être à coup sûr bien vivant. Il va tellement l’affirmer qu’il va être filmé sous bien des aspects. Rarement absent du champ de la caméra, c’est presque tout en sensualité des grands héros contemporains qu’il sera ainsi montré dans ses gestes et déplacements. Un corps qui ne demande qu’à comprendre et surtout à aimer. Ce sont toutes les brûlures de l’adolescence. Et malgré la douleur, Enzo, visuellement c’est juste d’une sublime beauté. C’est là toute une mise en scène, où nous voudrions presque entrer dans le film, boire un verre avec eux, profiter de la piscine et donner notre avis ! Enzo est à l’extérieur de sa famille, il est ce corps étranger. Il va donc tout naturellement aller chercher ce qu’il pense être de la compréhension, de l’affection et même plus encore chez Vlad, ouvrier Ukrainien, avec qui il va nouer une ambiguïté charnelle que l’on devine très vite dans la façon dont ces deux-là se regardent et se respirent. A nouveau, Enzo fuit la condition sociale dorée pour se réfugier presque opportunément chez celui qui incarne de par son origine et sa précarité financière l’exact opposé de sa maison. C’est également un décryptage social et sociétal très politique que ce Enzo. Et même si du fait que l’adolescent soit fatalement constamment comme sur un fil, et qu’on pressent le drame arriver, et car dans la vie, même dans les épreuves, dès fois on se marre aussi, le film n’est jamais plombant, en n’étant pas dénoué d’humour. Il sait rire de lui-même en ne dramatisant pas tous les enjeux.

Au casting, le jeu de Eloy Pohu dans le rôle d’Enzo est incandescent. Il donne à son réalisateur son interprétation, son physique, et vient comme faire corps avec la caméra. Mais jamais avec une flamboyance qui serait presque trop archétypale, car il garde parfois une patauderie, précisément car son personnage se cherche, ne sait presque pas habiter sa propre enveloppe. C’est comme par moment une placidité, mais savamment travaillée, et à cet égard le résultat nous mène à l’authenticité recherchée. Les parents sont bien paumés comme on le serait. Avec Pierfrancesco Favino autant en colère que terriblement inquiet pour son fils et qui nous transmet avec grande finesse le paradoxe de ses émotions contrariées. Et le plaisir toujours renouvelé de retrouver ici Elodie Bouchez, avec cette mère qui semble parfois ailleurs, moderne et détachée mais qui sait aussi être la louve auprès de son clan. Au final, Enzo, c’est très très beau !! Autant la mise en scène que la façon de déplier cette histoire universelle est profondément marquante et grâce à l’évident talent des cinéastes, Enzo, on n’est pas prêts de l’oublier !

Titre Original: ENZO

Un film de Laurent Cantet réalisé par Robin Campillo

Casting : Eloy Pohu, Pierfrancesco Favino, Élodie Bouchez…

Genre: Drame

Sortie le: 18 juin 2025

Distribué par: Ad Vitam

EXCELLENT

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