ENTRETIENS

LE MOHICAN (Entretien avec le réalisateur Frédéric Farruci) : Le cinéma, c’est la salle !!

C’est en toute tranquillité, au Théâtre National de Bretagne (TNB) de Rennes que Frédéric Farrucci nous parle de son deuxième long métrage, le Mohican. Un cinéaste à l’image de son film, engagé et généreux.

Frédéric, on se voit pour votre deuxième long métrage après La nuit venue, film noir mais qui aborde des questions sociétales. Vous dites que vous êtes inspiré par le cinéma de genre pour développer des idées politiques, les films de traque, John Ford.. C’est tout ça Frédéric Farrucci ?

Oui c’est tout ça. J’aime le film noir car il opère comme un cheval de Troie. Sous couvert de fiction avec un grand F, c’est un moyen d’aborder des questions politiques, de sonder l’époque dans laquelle je vis, sans asséner un message, et d’aborder des sujets qui me questionnent, qui me heurtent dans ma vie de citoyen, d’individu. On a en France longtemps eu du mal à entendre que le cinéma de genre puisse être du cinéma d’auteur. On est tous des héritiers de la nouvelle vague et référencée vers des auteurs très particuliers et pourtant certains d’entre eux, à commencer par Godard, étaient des fous de cinéma de genre, de cinéma noir, de western. Mais ça a longtemps été classé dans le cinéma de divertissement. Et moi je voue un culte aux grands auteurs du cinéma de genre, qui toujours évoquent un état du monde, une société, une époque à travers des films. Et je trouve que passer par le genre, ça a l’élégance de ne pas asséner de discours politique. Et effectivement, La nuit venue c’était un film noir et Le mohican ça lorgne vers le western et aussi les films de traque, donc les références que vous citez je m’y retrouve. Et oui, John Ford, c’est un dieu pour moi !! 

Le film s’inspire d’un documentaire de 2017 que vous avez tourné dans l’extrême sud de la corse où vous filmiez un berger du littoral, Joseph Terrazzoni. Vous nourrissez toujours cette inquiétude de la perte des grands espaces sur votre ile natale. C’est vraiment le pot de fer contre le pot de terre, un combat permanent ?

Oui, ça va même au-delà de la perte des grands espaces. C’est aussi une question de diversité de population avec un berger qui exerce une activité traditionnelle, ancrée depuis des millénaires. Quand ces gens-là qui sont organiquement liés à un territoire, se retrouvent en danger, qu’ils doivent quitter l’endroit où ils vivent et où ils travaillent, c’est au-delà de l’aspect des grands espaces. Le territoire ça évoque une terre mais aussi ceux qui l’habitent. Et ce qui me gêne énormément dans ce qu’on pourrait appeler la disparition des grands espaces, c’est toujours vers une uniformisation et toujours pour faire des choses qui ressemblent à autre chose, alors que la Corse se distingue par une vraie singularité et c’est toujours aller servir les mêmes intérêts néo-libéraux.

Et dans le film de la première à la dernière image, on sent tout votre amour pour cette ile, un amour forcément un peu contrarié justement ? 

C’est un très beau terme, amour contrarié, inquiétude profonde et je ne sais pas comment le formuler autrement, c’est très beau ce que vous dites !! Effectivement, j’estime que ce n’est pas en enjolivant ce que je pense de la Corse que ça serait une bonne façon de l’aimer.

Le mohican c’est aussi Et si un homme dit non, et si la nièce politise le débat. Et le faire contre la mafia, c’est le plus dur. C’est aussi une ode à la lutte contre la fatalité ?

Lui effectivement il dit non, sans pour autant formuler les raisons pour lesquelles il le fait. Donc c’est un résistant, mais c’est un résistant qui ne formule pas. Et oui, elle, la façon dont elle veut en faire un motif collectif, oui c’est une lutte contre la fatalité, ou en tout cas un grand espoir envers la jeunesse et sa capacité à se réinventer, à recréer une société, un système. Et puis, elle c’est un personnage que j’aime beaucoup. C’est quelqu’un qui a une grande conscience qu’il ne faut pas oublier ses origines, tout en étant ancrée dans son époque et qui forcément utilise les outils de son époque. 

Et en même temps, c’est terrible car cette saveur de l’inéluctable on le sait, on le sent ?

Oui, et comme vous le disiez, c’est le pot de fer contre le pot de terre. Pour moi forcément lui est dans une fuite en avant, qui laisse peu d’espoir à une victoire de sa part. De son côté à elle, c’est différent, on parle de la possibilité d’une résistance collective, on parle d’avenir. En tout cas, c’est vers ça que mes espoirs se portent. Il y a un fort pragmatisme chez les gens qu’elle et lui combattent. Ils font des affaires, mais ils ont conscience à un moment que leurs actions peuvent être complètement contre-productives dans la bonne marche de ces affaires. 

C’est aussi un film sur l’enracinement, celui de Joseph à son territoire, avec des images sublimes sur cet ancrage. C’est presque poétique ?

Merci !! En tout cas je suis un fou de cinéma, et j’essaie d’utiliser les outils de cinéma pour créer une atmosphère, pour évoquer ce territoire et faire en sorte que les images racontent des choses que je n’ai pas envie de faire passer par du dialogue. 

Il y a le personnage de la nièce, jouée par Mara Taquin, qui est bouleversante dans le film, et tellement forte en même temps. Que ça soit avec elle Alexis Manenti, lui-même corse qui est saisissant d’authenticité, comment dirigez vos acteurs ? 

Lui, ça a été un coup de foudre dès les essais dans la mesure où il est arrivé avec une proposition qui nous a complètement épatés. Bien que ça soit un citadin, il est arrivé avec une intensité, une lenteur paysanne qui était très frappante. Dès lors que ce coup de foudre avait eu lieu, je ne pensais plus qu’à lui. Puis on a travaillé ensemble à se rapprocher le plus possible de cette figure du berger telle que je l’imaginais et telle qu’il l’a proposé. C’est un personnage qui est finalement assez loin de celui qui a inspiré le film. Car c’est un bavard impénitent, qu’il est très vivant. Moi j’avais envie de quelqu’un de plus minéral et qui s’affaisse et se recroqueville sur lui-même, face à cette adversité folle. Et on a beaucoup réfléchit avec Alexis, sur comment faire en sorte que ça soit son corps qui communique puisque que c’est un homme de peu de mots. C’est quelque chose qu’il a intégré facilement, c’est un grand intuitif et il s’est rapidement approprié les gestes du berger.

Faisant peut-être appel à ses propres racines ? 

Oui, je pense qu’il a convoqué ses racines, notamment pour la langue, où il a été assez épatant dans sa capacité à trouver rapidement la musicalité de la langue corse. Donc je pense qu’il a convoqué quelque chose qui était enfoui en lui. Au delà de mes intentions, je trouve qu’il a apporté une complexité, une sensibilité, une fragilité qui a été bien au-delà de ce que j’avais imaginé. Bref, j’ai été épaté tout du long par ce qu’il proposait et j’ai continué à être épaté quand je suis arrivé au montage et que j’ai vu des choses que je n’avais pas perçu lors du tournage. 

Et puis, et on le voit sur l’affiche, il a aussi une gueule, une vraie gueule ?

Oui, une gueule… Une gueule mais une gueule de héros ordinaire, pas une gueule de jeune premier. Il y a quelque chose de singulier dans son visage et dans sa corpulence qui me plaisent beaucoup.

Et Mara ?

Autant lui c’est un vrai intuitif, elle, elle a eu quelque chose de plus classique dans sa façon d’aborder le rôle. J’ai trouvé les essais très brillants aussi dans ce qu’elle proposait. Mais là où ça s’est vraiment décidé, c’est à l’issue des conversations que nous avons eues. On a commencé à parler politique ensemble, où j’ai vu que c’était une jeune femme engagée qui avait déjà été militante et je trouvais que ça collait vraiment avec le personnage qu’elle défendrait dans le film. Je crois que ça a été le petit plus qui m’a convaincu que c’était la bonne personne. C’est quelqu’un de très attentif. Elle est capable d’entendre 10 remarques sur une prise et de les appliquer à la prise suivante. C’est quelqu’un qui a une tête bien pleine et beaucoup de fraîcheur, beaucoup de talent aussi, c’est une super camarade, joyeuse aussi, ce qui est très agréable sur un plateau. 

Il y a une vraie musicalité tout le long du film. C’est le travail de mélodiste de Rone, deuxième collaboration après le César de la meilleure musique. Quelle importance pour vous la musique? 

Oui, ça a une grande importance pour moi. Rone est un fabuleux mélodiste, on avait très envie de retravailler ensemble. Et c’était quelque chose de moins naturel, moins évident, d’aller chercher cette musique. J’avais envie de sortir un peu des cliches des westerns, d’éviter les grandes musiques emphatiques. J’avais envie d’avoir une musique assez âpre, vraiment en rapport avec ce que peu être le territoire corse par endroit, assez minimaliste aussi, en rapport avec ce berger plutôt taiseux. Donc il y avait quelque chose à trouver, et là encore d’assez organique, et pas du tout électronique Ensuite, j’avais envie d’aller chercher des contrastes pour avoir d’autres moments beaucoup plus lyriques, pour prendre un contre-pied, autant en lien avec les moments qu’avec les protagonistes. Il y a aussi quelques chose de magnifique avec la musique de Rone, c’est qu’on a voulu travailler à quelque chose de sacré. 

Vos projets ? La promo… Et surtout la suite ?

Oui il y a beaucoup de projets et de choses qui se matérialisent et ma problématique c’est de choisir ce sur quoi je veux partir, c’est surtout ça.

Quelque chose qu’on n’a pas dit, qui vous paraît important, un dernier mot, en lien avec le film ou pas !! 

Et bien que je suis très heureux de faire cette interview avec vous, d’entendre quelqu’un de jeune et passionné !!! Et de dire que le Cinéma c’est la salle. Que c’est là que ça se passe. Que c’est pour ça que les cinéastes font des films. Pour que des gens viennent s’installer, avec pour seul objectif de voir un film. Qui acceptent la démarche de s’installer dans le noir et d’accueillir la grammaire que propose un ou une cinéaste. La salle, c’est là que doivent se voir les films. 

Tavernier je crois disais que quand la lumière s’éteint tout devient possible. 

C’est fou, c’est un moment que je n’arrive pas à banaliser comme spectateur. Il y a des semaines où je vais 4 fois au cinéma et à chaque fois, c’est comme si j’allais vivre un grand événement. C’est chouette !! En plus la force du cinéma, c’est un art très populaire ! 

Propos recueillis par JM Aubert

Un grand merci à AD VITAM et, à tout l’équipe du Théâtre National de Bretagne (TNB) de Rennes et à sa directrice Stéphanie Jaunay, grâce à qui cette interview a pu se faire.

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