Critiques Cinéma

THE SUBSTANCE (Critique)

SYNOPSIS : Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? Vous devriez essayer ce nouveau produit :

THE SUBSTANCE

Il a changé ma vie. Il permet de générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite.

Respectez les instructions :

VOUS ACTIVEZ une seule fois

VOUS STABILISEZ chaque jour

VOUS PERMUTEZ tous les sept jours sans exception.

Il suffit de partager le temps. C’est si simple, qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?

La bombe de l’année n’est pas venue de là où on l’imaginait, c’est certain. Cannes 2024 : Coralie Fargeat (réalisatrice française débarquée sur les grands écrans en 2017 avec son Revenge) dynamite la sélection de la Croisette avec le détonnant The Substance, un projet mystérieusement opaque qui viendra gentiment étaler de nombreuses couches d’hémoglobines sur ses premiers spectateurs. Le résultat sera de l’ordre de la géante surprise. The Substance récoltera l’une des meilleurs réponses critiques du Festival, ainsi qu’un Prix du Scénario pour sa réalisatrice. Le film raconte le parcours d’une ancienne star du cinéma, devenue hôte d’une pauvre et désuète émission télé de fitness. Elizabeth Sparkle avait tout pour elle : du succès, du charme, des prix, des fans à gogo… Aujourd’hui, elle a 50 ans, et son producteur cherche à la mettre sur la touche pour engager une « petite jeune » à sa place. Désespérée, Elizabeth rencontre The Substance, un produit révolutionnaire qui lui permet de « créer » une version plus jeune, plus sexy, plus parfaite d’elle-même. En signant ce pacte, Elizabeth se doit de respecter plusieurs règles nécessaires. La première : elle devra partager sa vie avec cette nouvelle enveloppe physique (qui se fera appeler Sue) en échangeant de corps une semaine sur deux. Mais très vite, l’équilibre va dérailler…

 


The Substance frappe d’abord par sa manie de ne vouloir ressembler à rien d’existant, s’amusant à pirater les codes du body-horror movie, de la satire horrifique et de la comédie sociale pour fabriquer une créature de Frankenstein à la fois informe et bouillonnante d’idées en tout genre. Coralie Fargeat, par son envie de raconter frontalement l’âgisme, les diktats misogynes, la violence du male gaze, l’hypersexualisation et le culte de la perfection imposé aux femmes, décide de foncer plein pot à l’intérieur de son sujet, bouleversant les attentes, troquant les traditionnels tropes du registre pour les jeter à la poubelle. A travers sa peinture over-the-top, affreusement burlesque, trop pailletée et profondément dégueulasse d’un Hollywood cannibale qui voit les femmes comme des corps dont on dispose de manière éphémère, The Substance trouve son principal décor dans cette salle de bain. Blanche, striée de lignes parallèles noires, redoutablement austère, terriblement clinique, dans un écrin minimaliste qui permettra principalement de faire sortir le rose des corps humides de ses protagonistes, le vert « frankensteinesque » de la substance éponyme et enfin le rouge inévitable du sang qui se répand à vitesse grand V. Prenant à bras le corps son besoin de minimalisme, dégainant souvent des courtes focales qui viennent distordre les visages et imprimer les décors derrière eux, The Substance travestit frontalement les habituelles transgressions de la satire sociale sanguinolente pour en faire un produit cliniquement barjo, pourtant calibré sur une structure narrative rapidement prévisible, mais fabriqué pour raconter avant tout le parcours de son héroïne multiple, déchirée entre sa vie actuelle et l’illusion d’une renaissance dans les yeux de la société.



The Substance compte évidemment sur ses comédiennes centrales pour fonctionner à la hauteur de son intention, les performances de Demi Moore et de Margaret Qualley parvenant de manière sensationnelle à faire un spectacle grand-guignolesque et profondément grotesque qui ne paraît pourtant jamais ridicule à une seule seconde. En tête d’affiche, Moore signe là l’un de ses rôles les plus mémorables, se mettant littéralement à nu dans un jeu méta que l’on comprend rapidement à demi-mot. La comédienne se place dans la peau tourmentée d’une actrice à l’aube de la cinquantaine à qui l’on ne propose plus rien à l’écran à cause de son âge – lui permettant de se lâcher complètement dans un freak-show assumé et percutant qui lui offre un personnage comme on n’en voit définitivement pas souvent au cinéma. De l’autre côté du terrier de lapin, fabriquant le Portrait de Dorian Grey de sa protagoniste, la formidable Margaret Qualley continue de prouver son talent tout particulier pour s’inclure dans les univers les plus barrés et les plus troublants (on l’a récemment adorée chez Lanthimos, chez Tarantino, chez Claire Denis ou encore chez Ethan Coen). La comédienne devient pour Fargeat un prisme pour explorer à l’écran les ravages du male gaze. Qualley est scrutée de manière peu subtile par une caméra très voyeuriste, s’épanchent longuement sur son déhanché et son décolleté, au rythme d’un remix de Pump it Up beauf et cliché à souhait – avant de basculer dans le too-much burlesque dans sa dernière partie poussant tous ses potards à fond dans son jeu visant à en envoyer plein la tête à ses spectateurs.



Filmant son sujet avec une précision impressionnante, Coralie Fargeat réussit avec ce deuxième film un étonnant tour de force aussi ravagé qu’il est saisissant, captant façon conte de fée l’équilibre précaire de l’image du corps de la femme dans la tête de toute la société (les femmes vues par les hommes, et aussi et surtout les femmes par les femmes). S’il manque dans son ambition narrative d’un peu plus de matière (pour ne pas dire « de substance » …) pour profondément s’élever à la hauteur des retours dithyrambiques de certaines et certains après les premières séances cannoises, The Substance s’avère être une vraie réussite de genre, brillamment atypiques et délicieusement imparfaite, qui parvient avec une liberté inspirante à ouvrir ses icônes en deux pour raconter l’impossibilité logistique de répondre aux attentes d’une société terrifiante qui t’oblige à sourire alors même que ton monde s’écroule dans l’arrière-salle.


Titre Original: THE SUBSTANCE

Réalisé par: Coralie Fargeat

Casting : Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid…

Genre: Drame, Epouvante-Horreur

Sortie le: 06 novembre 2024

Distribué par: Metropolitan FilmExport

EXCELLENT

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