SYNOPSIS : Anora, jeune strip-teaseuse de Brooklyn, se transforme en Cendrillon des temps modernes lorsqu’elle rencontre le fils d’un oligarque russe. Sans réfléchir, elle épouse avec enthousiasme son prince charmant ; mais lorsque la nouvelle parvient en Russie, le conte de fées est vite menacé : les parents du jeune homme partent pour New York avec la ferme intention de faire annuler le mariage…

Après ses nombreuses années de carrière et sa dense filmographie qui a vu se succéder des petites propositions indépendantes, des pépites populaires, des hits en puissance et rien de moins qu’une Palme d’Or, il est drôle de constater que malgré tout, le scénariste et réalisateur américain Sean Baker fonctionne à l’instinct. Alors qu’il écrit activement son nouveau film, un long-métrage centré sur une jeune strip-teaseuse de Brooklyn qui s’engage dans des fiançailles mouvementées avec le fils d’une richissime famille russe, Baker découvre sur grand écran le cinquième volet de la saga Scream, ressuscitée avec de nouveaux jeunes acteurs talentueux après le décès de Wes Craven. Parmi la bande de jeunes survivants qui se retrouvent face à Ghostface, Baker flashe sur Mikey Madison, aka Amber, la meilleure amie de Tara, incarnée par Jenna Ortega. Et, sans nous vanter également, il est vrai qu’au visionnage du film en 2022, le profil de Madison nous avait également sauté au visage car – désolé pour le spoiler – c’est elle qui déclenche littéralement l’acte 3 en faisant complètement muter son jeu pour sombrer dans une psychopathie brillamment maîtrisée. Sean Baker décida de faire de la jeune comédienne l’héroïne de son nouveau long-métrage, qui se verra octroyer une place au sein de la Compétition Officielle cannoise 2024, de laquelle il ressortira avec les honneurs ultimes du Jury de Greta Gerwig. Baker et Madison en or, c’est la folle cavalcade chaotique d’Anora, à la fois le film le plus accessible et le plus ambitieux de la carrière fascinante du metteur en scène.

Anora suit donc la protagoniste éponyme, une travailleuse du sexe de Brooklyn. Un soir, elle fait la connaissance de Vanya, un jeune russe blindé d’argent, qui lui fait une proposition qu’elle ne daignera pas refuser : en échange d’un salaire colossal, elle deviendra sa « petite amie » exclusive. Cette Cendrillon des temps modernes voit alors sa vie basculer lorsque les deux jeunes décident sur un coup de tête de se marier à Vegas, et que la famille de Vanya découvre la situation. Deux hommes sont alors envoyés à la maison des jeunes mariés pour faire immédiatement annuler le mariage… Dans la lignée de son cinéma, peuplé des « oubliés » de l’Amérique, filmant la fin de l’American Dream par le biais de ces personnages naviguant entre les strates de la société, Sean Baker fait d’Anora un trip génialement maîtrisé et profondément hilarant, réinventant Pretty Woman en twistant l’aspect romantique pour servir la quête de son héroïne à la recherche d’un équilibre. Anora est une course trépidante, filant à mille à l’heure, profitant d’une première partie désespérément chic et pleine de passion amoureuse pour venir enfin prendre son véritable sens lors de la déjà mythique séquence de la violation du domicile de Vanya et Ani. Grâce à un sens électrique de la mise en scène, Baker fait d’Anora un concentré allumé d’anxiété et de course contre la montre, où les personnages sont tordus de défauts pour souligner l’absurdité conséquente et intrinsèque des situations dépeintes. Cette dernière pièce ajoutée à sa filmographie fait beaucoup penser aux vagabondages fleuris de son précédent Tangerine, qui posait comme climax cette scène abracadabrantesque d’engueulades croisées au guichet d’un magasin de donuts. Anora se la joue Uncut Gems façon club de strip par les Frères Coen, offrant à la formidable Mikey Madison l’occasion de briller de mille feux dans la peau d’Ani. La comédienne occupe constamment l’écran de sa présence, à la fois douce et possédée, trouvant son apogée dans cette séquence centrale de l’intervention de Garnick et Igor, redoutable de tension comique et de construction de personnages. Madison éclate de toutes les façons possibles, sa performance faisant d’ores et déjà l’objet de multiples prédictions pour les prochaines cérémonies de remises de prix – mais l’on ne voudrait pas vendre la peau de l’ours, tout ça tout ça…

Cependant, on sait également que l’une des forces principales du cinéma de Sean Baker se trouve dans l’ensemble de son casting et qu’il sait faire avec d’hilarants personnages secondaires qui vagabondent au gré de ses récits. Aux côtés de Madison, le jeune Mark Eidelstein campe génialement cet adolescent pourri gâté qui n’a aucune envie de grandir, et le formidable Yura Borisov (découvert pour nous dans le délicat Compartiment n°6 que l’on recommande chaudement) incarne cet extraordinaire Igor, un homme de main au grand cœur à qui l’on prête constamment des intentions qu’il n’a probablement pas. Le reste du casting éclate de personnalités en tout genre, habitées par de formidables comédiens et comédiennes qui vibrent au diapason, s’accordant parfaitement avec les volontés scéniques de leur réalisateur.

Emballé par la sublime photographie de Drew Daniels, incrustée de diamants qui s’effritent pour laisser place à une épopée chaotique et explosive, Anora redessine les contours que l’on connaît aux œuvres de son cinéaste, tout en poussant encore plus les potards de l’ambition et de la dynamique entre ses personnages. Sean Baker est, plus que jamais, le cinéaste du mouvement. Tout bouge, à mille à l’heure : la caméra, le cadre, les personnages dans le cadre et les lignes de leurs relations respectives… Bref, du 100% montagnes russes, un cocktail de sensation filant du fou rire compulsif à l’anxiété latente, pour finir dans une séquence finale étonnamment bouleversante à la clôture de l’exploration de sa jeune héroïne. Anora est un concentré de cinéma, un joyeux bordel contagieux, mordant et extatique, qu’on déguste sans faim avec un intense plaisir cinéphile.

Titre Original: ANORA