Critiques Cinéma

UN COUP DE MAÎTRE (Critique)


SYNOPSIS : Propriétaire d’une galerie d’art, Arthur Forestier représente Renzo Nervi, un peintre en pleine crise existentielle. Les deux hommes sont amis depuis toujours et, même si tout les oppose, l’amour de l’art les réunit. En panne d’inspiration depuis plusieurs années, Renzo sombre peu à peu dans une radicalité qui le rend ingérable. Pour le sauver, Arthur élabore un plan audacieux qui finira par les dépasser… Jusqu’où peut-on aller par amitié ?

Un coup de maître s’inspire librement du film argentin du même titre (Mi Obra Maestra) de Gastón Duprat, sorti en France en 2019. Rémi Bezançon, ancien étudiant de l’école du Louvre, dans Un coup de Maître semble renouer avec un de ses thèmes de prédilection, déjà magistralement déployé dans Ma vie en l’air (2005) du même auteur. Quand il parle du lien qui unit Arthur et Renzo : « Oui, ce qui relie ces deux êtres relève de l’amour. Ils ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre, même s’ils ont du mal à se supporter, comme on peut le voir lors de la séquence inaugurale du film. C’est l’histoire d’un homme qui, en sauvant son meilleur ami, va se sauver lui-même « . L’art peut créer sa propre réalité, au-delà de simplement s’en inspirer, nous sommes prévenus. En parlant d’art, et de coup de maître, tout de suite le duo Bouli Lanners et Vincent Macaigne nous saisit de sa vérité. Ils sont à nouveau réunis 5 ans après le très déroutant Chien en 2018 de Samuel Benchetrit. « Je ne peux plus écouter tous ces cons qui vont me parler de ma peinture« . Le ton est donné. L’art est une révolution permanente, c’est aussi une terrible lutte, qui poussé à ses limites, fort d’une forme de lassitude, d’une de la médiocrité, peut accoucher d’une troublante radicalité. La radicalité dans une œuvre, donc celle d’un artiste et donc celle de l’homme. Le lien entre Arthur et Renzo est évident, car le premier admire sans conditions le second, tout en essayant difficilement de représenter ses intérêts. Ainsi, Arthur doit composer avec un milieu particulièrement nombriliste et un artiste de plus en plus décomplexé, qui n’en a plus rien à foutre d’à peu près rien. Son pragmatisme vient se heurter à la folie de son ami et c’est par cet endroit que la jubilation arrive. Car Arthur retourne épisodiquement avec Renzo vers les délires qui ont sûrement forgé leur lien unique. Ce qui se déploie avec émotion et tendresse dans Un coup de maître, c’est ce couple amical, cette histoire d’amitié, trop souvent dénigrée ou reléguée, alors que ces liens-là sont parfois finalement les seuls qui restent.


On fait de l’art quand on ne sait rien faire d’autre. C’est une histoire d’imperfection, de bordel ambulant, rien n’est jamais linéaire, c’est une histoire de défauts, de ne surtout pas être méticuleux, rationnel, cohérent ou méthodique. Pour Renzo, l’art c’est d’abord et avant tout une malédiction. La liberté, l’indépendance dans son expression artistique ne sont pas toujours compatibles avec la qualification d’une œuvre, avec son classement, avec des codes qui justement viennent comme défigurer ce qu’est la création. La prédation s’est comme substitué à l’authentique de l’excentricité. Je suis né en 360 après Rembrandt. Oui, je préfère compter à partir de Rembrandt qui était un vrai génie, plutôt qu’à partir de Jésus Christ qui était un vrai cinglé. Se soustraire, se soumettre aux codes ou finir par envisager le bannissement. Renzo n’en peut plus de s’accommoder aux nuances. C’est un sauvage, qui se sentant privé d’inspiration, se déconsidère, se comporte comme un connard et joue les monstres puisqu’il est convaincu d’en être un. Sa dépression, marque des génies fut-un temps, est bestiale et nourrit des scènes singulièrement jouissives. Le marché de l’art s’étant mondialisé, c’est un nouveau concours de courbettes incessantes. Là où Arthur s’adapte, Renzo le vomit. Le premier aime éperdument le deuxième qui constamment le met dans des situations impossibles.


La vie est une succession de choses qu’on aime et puis qu’on perd. Alors pour briser cette infernale spirale, comme si sa propre mort n’était qu’un changement, auquel secrètement quiconque voudrait assister, une folle idée va émerger, qui pourrait bien arranger les affaires autant d’Arthur que de Renzo. On devient parfois un demi dieu quand on meurt. A travers cette deuxième partie que nous ne développerons pas trop par souci de non défloration, c’est l’exacerbation de la superficialité que le cinéaste va disséquer. Malgré quelques invraisemblances très certainement assumées, Bansky pourrait largement y retrouver ses petits. Une mise en scène évidemment faite de couleurs, car le cinéaste se sert de sa caméra comme d’une palette et en met un peu partout pour délivrer son généreux et universel message de la primauté du lien sur tout le reste.


Au casting, Bouli Lanners acteur mais aussi peintre et Vincent Macaigne. Avec ces deux-là, on est plus dans un film. Dans le moment, ce sont sans doute les deux acteurs qui jouent le moins et qui vivent le plus leurs rôles. Ainsi, ils écrasent tout et permettent au Coup de maître de constamment demeurer dans un rythme sans cassure, malgré parfois une narration qui ronronne. Vincent aime tout comprendre d’un personnage là où Bouli est davantage instinctif mais au final, les deux sont presque impossibles à dissocier, car au-delà d‘une évidente complémentarité, les talents sont d’un tel sommet qu’ils ne font qu’un. Le magnétisme est total, autant que la symbiose. L’un et l’autre défendent leur personnage, sûrement car comme eux, l’un et l’autre débordent d’humanité. Jusqu’où on peut aller par amitié, Rémi Bezançon va explorer cette question jusqu’à nous dire que ce lien au moins autant largement que l’amour, rend drôlement vivant. Le coup de Maître était très certainement de réunir ces deux monstres d’humanité, et si on ne tombe pas à la renverse, on sourit beaucoup et on en sort plein d’espoir, et ça c’est déjà tout !

Titre Original: UN COUP DE MAÎTRE

Réalisé par: Rémi Bezançon

Casting: Vincent Macaigne, Bouli Lanners, Bastien Ughetto …

Genre: Comédie dramatique

Sortie le: 09 août 2023

Distribué par: Zinc film

TRÈS BIEN

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