
On s’y attendait, mais le choc est quand même là. Alain Delon est mort.
Je ne le connaissais pas personnellement, je serais bien incapable d’avoir un avis tranché sur l’homme malgré tout ce qu’il laissait paraitre. Justement… était-il vraiment ce qu’il laissait paraitre ? Derrière la froideur se cache souvent une hyper sensibilité. Derrière un égo apparent se dissimule parfois une pudeur véritable. Dur, exigeant, généreux, loyal, prétentieux, facho, passionné, entier … beaucoup de qualificatifs cernent la personnalité controversée de Delon. Beaucoup de qualificatifs prononcés d’ailleurs souvent par des personnes qui ne le connaissaient pas directement. Moi, il m’a toujours paru complexe et insaisissable. Un être profondément blessé qui ne se dévoile pas facilement. L’acteur, lui, s’est toujours pleinement exprimé à travers ses films. C’est de lui dont j’ai envie de parler.

J’ai « rencontré » Delon via son pote Belmondo, dans Borsalino de Jacques Deray. Fasciné par Bébel, je regardais tous ses films et je tombe donc sur celui-ci. Et je peux vous dire qu’il fallait que le Delon ait une sacrée dose de charisme face à mon Belmondo pour taper dans l’œil du gamin que j’étais. Delon avait tout. La beauté, la présence et un jeu instinctif, très animal, qui m’a subjugué. Il a très vite fait partie des acteurs avec lequel j’ai grandi. Découvrir ses films, c’est découvrir tout un panorama du cinéma français. La carrière est impressionnante, le nombre de films marquants aussi. Peu d’acteurs peuvent se vanter d’avoir dans leur filmographie des chefs-d’œuvre tels que Le guépard, Le samouraï, Monsieur Klein, Rocco et ses frères, Plein soleil, Le cercle rouge. Des films entrés au panthéon de la cinéphilie, reconnus internationalement, et qui traversent formidablement bien le temps. Peu d’acteurs peuvent prétendre avoir porté le cinéma français populaire aussi haut et établi un lien avec le public aussi fort. Delon a fait partie des rares artistes avec lequel nous avions rendez-vous. Nous allions voir le dernier Delon. Conscient de ce qu’il était et ce pourquoi les spectateurs le suivaient, l’acteur et producteur aimait tout à la fois donner à son public ce que ce dernier voulait voir, et était capable de s’aventurer dans des univers plus risqués et singuliers. Delon voulait qu’on l’aime. Pour ma part, il y est parvenu.Je dois avouer avoir aimé suivre Delon, même dans ses films les plus « fabriqués » à sa gloire. Je prends autant de plaisir à savourer un Plein soleil qu’à me divertir devant un 3 hommes à abattre. Le plaisir n’est juste pas le même. Alors oui, il y a eu des films moins bons, certains même considérés comme des nanars. Même devant ceux-là, j’étais heureux de retrouver Delon, et mon plaisir était là. Il y a peu d’artistes pour lesquels je peux écrire cela.

Delon a évolué dans un cinéma où l’acteur était au centre. On écrivait pour lui. Normal qu’il ne se soit plus senti heureux au cours des dernières décennies. Tout a changé et il n’y avait guère de place pour l’acteur qu’il était. Tout comme au début de sa carrière, quand des René Clément, Jean-Pierre Melville ou Luchino Visconti l’ont entrainé dans leurs univers respectifs et l’ont ainsi révélé, il espérait peut-être que de jeunes réalisateurs viennent le dompter et l’amènent vers d’autres choses. Mais Delon faisait peur, paraissait indomptable. Les jeunes réalisateurs ne sont pas venus à lui, à l’exception notable d’un Bertrand Blier. C’est ainsi. Je n’arrive pas à être triste de sa disparition. D’abord parce que je le sentais malheureux et prêt à partir. Ensuite parce qu’il va continuer à faire partie de ma vie exactement comme il en faisait partie lorsqu’il était de ce monde : à travers ses films. Je vais continuer à savourer les Melville, Visconti, Clément et Losey cités plus haut. Je vais continuer à adorer les Deray, Verneuil, Granier-Deferre, Giovanni. Je prendrai toujours du plaisir devant sa Tulipe noire flamboyante, et même son Zorro (je dois être un peu pervers). Je me divertirai encore à la vision de ses polars où Delon incarne le héros justicier ou torturé tels les deux films qu’il a lui-même réalisés (Pour la peau d’un flic et Le battant), ou encore Big guns, Parole de flic et même Ne réveillez pas un flic qui dort (ma perversité n’a donc pas de limite). Je serai éternellement client des duos mythiques qu’il nous a offerts : Les aventuriers avec Ventura, Traitement de choc avec Girardot, Adieu l’ami avec Bronson, La veuve Couderc et Les granges brûlées avec Signoret, puis bien sûr Borsalino et Une chance sur deux avec Belmondo.

Surtout, il y a mon panthéon personnel en haut duquel je place d’abord La piscine. Delon et Romy sont au sommet de leur beauté et le film de Deray me fascine toujours autant à chaque vision. Ce qu’il s’y joue, subtilement, cette atmosphère qui se crée, progressivement, et ce quatuor d’acteurs incarnant des personnages troubles, impeccablement. Ensuite, vient Le samouraï. Sans doute le rôle le plus mythique de Delon. Impossible d’imaginer un autre que lui être Jef Costello. Le style maitrisé et épuré de Melville offre un écrin parfait à l’acteur et écrit un peu plus sa légende. Monsieur Klein de Joseph Losey est sans doute un de ses personnages les plus forts et une de ses plus grandes incarnations. Mort d’un pourri de Georges Lautner est pour moi tout à la fois un des meilleurs polars français des années 70 et un film où le naturel de Delon fait merveille. Il est éblouissant, superbement servi par des dialogues brillants de Michel Audiard. Enfin, impossible de ne pas citer les deux Verneuil, Mélodie en sous-sol et Le clan des siciliens. Deux polars très différents, absolument jouissifs et maitrisés. Deux classiques du genre où le jeune chien fou Alain Delon fait face à son maitre, Monsieur Jean Gabin. Le clan des siciliens se paie même le luxe d’ajouter à ce duo hors normes le grand Lino Ventura. Quelle affiche ! Je crois que ce qui me rend tout de même triste depuis la mort de Delon, c’est l’idée que peu d’acteurs ou actrices encore de ce monde ne laisseront une trace aussi importante à la fois dans l’histoire du cinéma et dans le cœur des gens. Ce n’est pas une question de talent. L’époque et l’approche du cinéma sont différentes, et les liens qui se créent avec nos actrices et acteurs sont différents. Là encore, c’est ainsi. Delon, comme quelques autres grands noms cités auparavant, appartenait à un âge d’or du cinéma français. Celui où cinéma d’auteurs et grands films populaires se côtoyaient en nombre. Celui où l’on allait voir des films mais aussi des acteurs parce qu’on les aimait. Celui où le héros ou l’héroïne de l’histoire nous faisait rêver. On aurait pourtant bien besoin de rêver aujourd’hui. Alain Delon est mort mais le cinéma l’a fait entrer dans la légende. Il le savait, il en était fier et il avait raison de l’être. Désormais éternel, nous avons encore de grands et beaux moments à partager avec lui. J’en suis plus qu’heureux et je l’en remercie.
Catégories :HALL OF FAME








































































































































