Critiques Cinéma

PHILADELPHIA (Critique)

SYNOPSIS : Andrew Beckett, un jeune et brillant avocat qui travaille dans un grand cabinet, se voit confier une affaire très importante. Mais son licenciement brutal suit de peu cette consécration. Homosexuel et séropositif, Andrew se doute bien des raisons. Il entame un long procès pour dénoncer cette discrimination… Philadelphia s’inspire en partie du procès ayant opposé Geoffrey Bowers et Clarence B. Cain. Douzième plus gros succès au box-office de l’année 1993, le film a décroché un an plus tard de nombreux prix, dont deux Oscars (meilleur acteur pour Tom Hanks et meilleure chanson pour « Streets of Philadelphia »).

Justement, les premières notes de Springsteen avec Streets of Philadelphia, et c’est déjà toute une émotion qui nous étreint. La complainte du Boss qui chante les dents serrées est venue rencontrer avec une parfaite alchimie le film de Jonathan Demme. La tension qui en émane, au-delà de la pleine juxtaposition des arts, nous nous plonge tout de suite dans l’univers d’un film que l’on n’oubliera plus jamais. Ce qui va évidemment venir particulièrement nous bouleverser est la criante injustice que va subir Andrew, passant aux yeux de ses patrons de petit prince de la loi à un pestiféré dont il faut urgemment se débarrasser. Au-delà d’une pure discrimination au sens légal du terme, c’est en fait l’homme Andrew qui est attaqué, dans son homosexualité d’abord, puis sa maladie ensuite. Les deux ne font qu’un pour sans doute une grande partie de l’opinion publique au début des années 90, moment de sortie du film. Il y a Andrew, mais c’est toutes celles et ceux victimes de cette odieuse stigmatisation qui vont pouvoir s’appuyer sur Philadelphia. Le film ne semble pas se vouloir politique à l’origine, mais l’humanité criante qu’il dégage permettra à l’histoire d’Andrew de devenir toutes les histoires.



C’est bien sûr dans le basculement de l’avocat Joe Miller, « le type de la télé », pétri lui aussi de ses préjugés d’arrière-garde, car élevé juste dans des codes patriarcaux simplistes et sans aucune ouverture, engoncé dans la certitude de la normalité, que le film prend son envol. Le pire étant que 30 ans après, l’ancrage de la stéréotypie débilitante et bien souvent ordurière perdure dans de nombreuses catégories de la population mondiale. Et donc Joe Miller, avec ses effets de prétoire et du haut de ses multiples saillies fantaisistes et provocantes, en se basant sur des pures conclusions de droit, va procéder à une mue assez fascinante dans la crédibilité de son évolution. Il va en toute authenticité venir poser d’essentielles questions, tabous, sur particulièrement la vie sexuelle, mais qui traversent finalement un peu tout le monde : « Qui fait quoi avec qui, et comment ils font ça ? ». C’est bien la haine de la différence et la méconnaissance qui pousse au rejet infondé. Et puis comme tout film générationnel culte, il y a cette scène intemporelle, inoubliable et comme figée aussi bien dans le temps que dans le panthéon du 7ème art. Ici, c’est Je suis l’amour avec La mamma morta (Ils ont tué ma mère) qui est une aria de l’opéra vériste Andrea Chénier d’Umberto Giordano (1896). Tom Hanks y est imprégné, survolté… Terriblement vivant, car justement si proche de la fin. Terriblement dans la simple vérité de l’unique sauveur universel…. « L’amour est la solution, et vous le savez très bien » disait John Lennon. Himalaya d’émotion et de sensibilité pour cinéma et opéra mêlés dans une communion divine avec des arts qui se rencontrent, nous laissant scotchés, hagards, sonnés, presque dissociés. Puissant, vibrant. Ce film culte, cette scène culte, qui dit à peu près tout du sens de la vie… Ce chant renversant, sidérant, bouleversant de Maria Callas... C’est l’élégance du désespoir… C’est infini… De la tolérance sur de la tolérance…

« J’apporte le malheur à tous ceux qui m’aiment.. Ce solo de violoncelle… une voix s’éleva pleine d’harmonie »
« Je suis le dieu qui descend du paradis sur la terre pour faire de la terre un paradis…
Car j’ai en moi l’amour
Car je suis l’amour »



Il y aussi l’amour bouleversant de toute la famille d’Andy. « C’est pas croyable ce que je vous aime » leur dira-t-il quand tous lui apporteront son soutien. Dans la droite ligne, on pleurera tout autant que la scène de l’opéra face aux dernières images du film, celle d’Andy tout petit (vraiment celle de Tom Hanks enfant), avec le son déchirant de Neil Young. C’est ici toute l’universalité, qui vient nous dire que nous sommes tous des enfants, qui souvent finissent parfois par se prendre un peu trop au sérieux. Le casting parachève le chef-d’œuvre, avec évidemment en première ligne Tom Hanks, qui a notamment perdu jusqu’à 11 kilos pour incarner Andrew Beckett, au fur et à mesure de la progression de l’état de santé du personnage. L’acteur est impressionnant de sensibilité et de générosité. L’évolution de la maladie, au-delà de son apparence physique se lit sur son visage, des gestes, ses déplacements. Il y a des rôles à Oscar et aussi des interprétations à Oscar, c’est pleinement le cas pour Tom Hanks dans Philadelphia, qui donne ici un visage au respect et à la tolérance. Denzel Washington est tout aussi impressionnant dans le rôle de ce que pense à l’époque Monsieur tout le monde. Son personnage central vient casser les codes d’une dégoulinante moralité car s’il évolue considérablement, il demeure parcouru par un certain nombre de questionnements et d’ambiguïtés. Et cette contrariété des émotions, l’acteur la porte avec un remarquable engagement. On retrouve bien sûr Antonio Banderas, très émouvant dans le rôle du compagnon d’Andy. On regrettera simplement que les scènes d’intimité avec Andy aient été coupées, sans doute pour une opinion publique trop impréparée à cette époque. Mais il est là, auprès de son amoureux, et apporte toute la chaleur de ses sentiments. Son jeu est intense.


Au final, si le message sur l’altérité de Philadelphia pourrait paraître aujourd’hui un peu manichéen, il ne faut jamais oublier que le film fut clairement d’avant-garde, et qu’aussi bien dans son message politique que la qualité de sa réalisation, Philadelphia demeure une œuvre inoubliable, se regarde se transmet, et se vit en pleine intensité. Jamais gratuit ou facile, c’est un ouragan d’émotions puissant et aujourd’hui toujours indispensable.

Titre Original: PHILADELPHIA

Réalisé par: Jonathan Demme

Casting : Tom Hanks, Denzel Washington, Mary Steenburgenk …

Genre: Drame

Sortie le : 9 mars 1994

Distribué par: Sony Pictures Releasing France

5 STARS CHEF D'OEUVRECHEF-D’ŒUVRE

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