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NEON GENESIS EVANGELION (Critique Série) L’œuvre d’une vie…

SYNOPSIS : En 2015, soit 15 après le Second Impact, un cataclysme planétaire provoqué par une explosion en Antarctique, la ville forteresse Tokyo-3 est menacée par les Anges, des êtres gigantesques détruisant tout sur leur passage. Pour les combattre, l’organisation secrète NERV a mis au point des Evangelions, appelés aussi Eva, d’immenses créatures bio-mécaniques pilotées par de jeunes adolescents. Espérant gagner l’affection de son père, Shinji Ikari prend les commandes de l’Eva-01. Il ignore tout de l’envergure du conflit qui se joue et de son implication…

Dans son ouvrage analytique sorti en 2023, l’autrice Virginie Nebbia appelle la saga Evangelion « l’œuvre d’une vie ». Cette vie, c’est celle d’Hideaki Anno, créateur et réalisateur de cet atypique Anime qui aura, en l’espace de bientôt 30 ans, redéfinit les codes de la Science-Fiction bien au-delà des frontières de son Neo-Tokyo 3… Neon Genesis Evangelion est une série animée japonaise initiée en 1995 par le studio Gainax, et prend ses racines dans le récit shōnen de Mechas (ces robots géants pilotés par des personnages très stylés pour se combattre ou pour taper des gros monstres, type Goldorak, Mazinger Z ou Gundam). Le long de 26 épisodes d’une vingtaine de minutes, Anno emprunte d’abord les codes du genre pour raconter le destin de Shinji Ikari, son protagoniste, un jeune pré-adolescent socialement peu doué et angoissé par sa place dans l’univers. Nous sommes dans un 2015 post-apocalyptique, depuis qu’une gigantesque explosion (appelée le Second Impact) a détruit une partie du Monde et fait monter les océans sur toute la planète. Shinji arrive à Neo-Tokyo 3, une ville mobile aux immeubles construits pour plonger sous terre en cas de catastrophe, et est accueilli par Misato Katsuragi, Capitaine pour la NERV, une organisation secrète chargée de la défense du Japon contre des créatures appelées les Anges. Pour combattre ces êtres aux origines inconnues, la NERV possède des Evas, des robots géants pilotés par des jeunes adolescents. Shinji découvre alors la raison de sa présence sur place : son père, le Commandant Gendō Ikari, qui l’a abandonné pendant son enfance après la mort de sa mère, veut faire de lui le « Troisième Enfant », le pilote de l’Eva-01. Shinji refuse, puis finit par se soumettre au souhait de la NERV. Commence alors une lutte entre les Evas (en coordination avec les deux autres pilotes, la calme et mystérieuse Rei Ayanami, puis l’hautaine et exubérante Asuka Langley Sōryū) et les Anges, qui apparaissent à tour de rôle avec l’objectif bien ancré de pénétrer le QG de la NERV…



Evangelion est une œuvre culte à plein d’égards, et notre modestie nous pousse à ne pas commencer à énumérer toutes les raisons qui la hissent à ce statut. Série fondatrice, twist post-moderne de l’Anime de Mechas, étude psychologique et manifeste philosophique… Chaque tentative de définir cette saga mythique avec des mots ne fait que la limiter à l’une de ses facettes, plutôt que de la laisser exister par elle-même dans une sorte de soupe primordiale à l’intelligence folle et au sens tragique obscure. Hideaki Anno fait de sa création une extension de sa personne et de ses troubles mentaux : Evangelion est sa propre Eva, une créature mi-technologie de pointe mi-organique, un vaisseau artistique abordant les démons humains avec une précision et une justesse qui défient l’entendement.



Au démarrage de son tout nouvel Evangile, ponctué d’évocations de différents récits fondateurs (la série pioche dans certaines croyances du Christianisme, du Judaïsme ou encore de l’Islam), Anno aligne tous les codes du genre. Son jeune protagoniste, un adolescent pas très débrouillard, solitaire, peu à l’aise avec les rapports sociaux – surtout avec les filles – est poussé par le fatum à devenir le protecteur de la Terre en pilotant un robot géant super cool, tout en partageant son espace de vie avec des femmes passant la majorité de leur temps peu habillées et manifestant toutes à leur façon un certain intérêt pour lui. On y ajoute également la petite créature animalière mignonne faite pour vendre les peluches dans les magasins nippons (Pen-Pen, notre héros à tous), les gags qui se manifestent par des compositions musicales un peu loufoques et des moments de gêne ou encore les grosses séquences d’action bourrines où des robots géants détruisent des quartiers pour flinguer des monstres taillés comme des buildings. Tous les codes sont présents pour saisir les fans du genre et les otakus habitués au registre. Mais tout ça, c’est avant qu’Anno ne révèle ses intentions, glissant doucement vers les abysses de sa propre œuvre en y injectant ses questions existentielles, mettant en abîme son rapport au bonheur, au libre-arbitre, au sens de la vie, à la fatalité de l’homme, à l’amour de soi et à l’amour des autres… Shinji, jeune homme peu confiant et un brin maladroit, ne veut pas piloter son Eva. Mais il y est contraint, et le voyage va progressivement faire accroitre sa dépression et sa solitude. Face au dilemme du hérisson (rester proche des autres pour survivre, mais pas trop près pour ne pas être blessé), notre protagoniste est loin des clichés demandés par le genre. Il ne colle pas aux images figées de la masculinité promue par l’animation japonaise, il est lâche, taiseux, angoissé, il est incapable de s’aimer, et le plus grand amour qu’il ressentira lors de ces 26 épisodes sera pour un garçon de son âge. Neon Genesis Evangelion fabrique ses personnages non pas comme des stéréotypes, mais comme des icônes religieuses déguisées en héros d’Anime, construisant ce monde comme un tout nouveau Testament, s’adressant à nos récits fondateurs pour plonger en introspection totale dans les deux épisodes finaux.



Cette fin, radicale, elliptique, mystérieuse, expérimentale (l’écran saccade, se distord, sort des conventions esthétiques classiques, dessine au crayon ou montre le monde réel) contenue dans ces épisodes 25 et 26 aura laissé les gens circonspects pendant des années. Au point que Gainax et Anno s’attèleront à la réalisation du bien connu The End of Evangelion quelques années plus tard, qui aura pour résultat de rendre le public encore plus circonspect à sa sortie (mais ça, c’est un sujet pour un autre jour…). Avec cette première conclusion, floue, nihiliste, cathartique, où tous les personnages fusionnent pour se questionner sur leurs identités (Misato et son rapport aux hommes, Asuka et ses traumatismes d’enfance, Rei et son humanité…), Evangelion rompt avec le récit classique, le fait s’envoler dans un espace contenu hors du temps, posant un voile sur la réalité pour capter son insaisissabilité. La fin de la série est certes trouble, mais elle raconte le parcours de son créateur. Neon Genesis Evangelion est un manuel de la part d’Hideaki Anno, un guide de  » comment (et comment ne pas) vivre sa dépression « . Elle est probablement là la raison du succès de sa saga, de l’accumulation de sa fanbase (dont une partie a très bien capté les sous-textes, et dont l’autre continue, ironiquement, de n’apprécier que les codes qu’elle essaye de détourner) et de sa longévité. Après The End of Evangelion, Anno réalisera une série de 4 long-métrages refondant sa franchise (le fameux Rebuild of Evangelion), offrant avec le dernier, Evangelion 3.0+1.0, une conclusion aussi sincère et douce qu’elle est radicale. Et après tant d’efforts et tant d’années de souffrances, Shinji a probablement mérité un peu de repos. Nous aussi, d’ailleurs… Le 26ème épisode d’Evangelion se termine sur quelques mots de la main d’Hideaki Anno. « Merci à mon père, Adieu à ma mère, Et à tous les Enfants… Félicitations « . Avec cette clôture, le réalisateur tourne la page avec un ultime face à face entre fiction et réalité. Les deux se parlent, échangent dans une étrange symbiose, aussi dérangeante qu’elle est sublime, touchée par la grâce et par l’impitoyabilité de sa propre tragédie. Evangelion est un mythe moderne, tout simplement l’œuvre d’une vie, qui n’a pas fini de parler du Monde et de nous à l’intérieur.

 

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