Critiques Cinéma

ACE ATTORNEY (Critique)

SYNOPSIS : Phoenix Wright est un jeune avocat qui débute à peine. Pour l’une de ses première affaires, il va devoir défendre son amie médium Maya Fey, accusée du meurtre de sa sœur Mia Fey, également avocate. Mais en réalité, derrière cette affaire se cache le mystère du procureur Benjamin Hunter, en se confrontant au plus impitoyable des procureurs : Manfred Von Karma.

On le sait : l’adaptation de jeux vidéo au cinéma n’est pas une mince affaire – loin de là. Si récemment le genre s’est vu valorisé par les succès critiques et populaires de Super Mario Bros, de The Last of Us ou encore de Fallout (tous tirés de franchises vidéoludiques à grand succès), il est pourtant admis depuis que le médium existe que le jeu vidéo et le grand écran ne font pas bon ménage. La faute à une différence de format et à des ruptures dans leurs systèmes narratifs qui rendent la transition particulièrement ardue et souvent piégeuse. Alors s’il y a bien une saga que l’on n’imaginait pas une seule seconde fonctionner au cinéma, c’est bien Ace Attorney. Mais ce serait oublier qu’au Japon, rien n’est impossible. Autant prévenir tout de suite pour éviter aux fanas de la saga une mauvaise surprise : nous utiliserons dans la présente critique les noms français des personnages. Cela nous amène à présenter, de manière succincte, ce gros morceau de culture nippone qu’est Phoenix Wright. Créée pour son premier volet sur GameBoy Advance en 2001, la franchise accumulera à travers les années une fanbase conséquente qui traversera les frontières avec les exports à l’international, une succession d’épisodes et de spin-offs sur toutes les consoles Nintendo ainsi que des adaptations en manga et en anime. Ace Attorney est un univers aux confins de l’absurde, prenant place dans un Japon alternatif, un brin futuriste. Phoenix Wright, notre héros jeune et ambitieux, est un rookie dans le monde impitoyable des avocats. Chaque jeu se découpe en plusieurs épisodes, chacun faisant suivre au joueur des phases d’enquête puis des phases de procès. Wright se voit attribuer la défense d’un suspect, et va devoir croiser les indices qu’il récolte avec les témoignages des protagonistes de chaque affaire pour détecter les contradictions et faire acquitter ses clients. Habillé d’une esthétique très (très) haute en couleurs, de personnages volontairement très clichés et particulièrement absurdes, de dialogues qui se confondent dans le ridicule et le too much et de plot twists qui font particulièrement peu sens lorsqu’ils sortent du contexte du jeu, Ace Attorney est une pointure totale du jeu d’énigme japonais, rivalisant avec un certain Professeur Layton (avec qui la saga a d’ailleurs eu un épisode cross-over appelé sobrement Professeur Layton vs Phoenix Wright Ace Attorney, sorti en 2012 sur 3DS). La piste d’une adaptation au cinéma a vite, aux vues du succès de la saga, évidemment été envisagée, Capcom désirant faire sortir encore plus Phoenix Wright et ses sidekicks absurdes de leurs consoles. L’idée germera jusqu’à finir entre les mains de Takashi Miike (oui oui, LE Takashi Miike d’Audition, d’Ichi the Killer ou de la trilogie Dead or Alive, vous ne rêvez pas) et aboutira en un morceau de cinéma aussi dégénéré qu’il est génialement divertissant – bref, tout ce qu’on peut attendre d’un Ace Attorney par Takashi Miike… !



Le long-métrage, passé au live (là où son concurrent direct Layton n’a eu « que « le droit à un long animé, La Diva Eternelle, en 2009), suit alors quasiment indice par indice les 5 enquêtes du premier jeu de la saga. Tout en recontextualisant l’ensemble, en en faisant un film d’anticipation futuriste où les forts taux de criminalité ont fait muter les procédures judiciaires en un cirque médiatique et sensationnaliste qui fait s’affronter avocats et procureurs lors de procès à la durée réduite, Ace Attorney suit les grandes lignes de son œuvre originelle. On y rencontre un certain Phoenix Wright, alors assistant de l’avocate renommée Mia Fey qui l’a pris sous son aile. Alors que Mia est tragiquement retrouvée morte chez elle, et que sa jeune sœur Maya est accusée du meurtre, Wright est obligé de monter au barreau pour affronter le prometteur et flamboyant Benjamin Hunter – protégé du grand Manfred Von Karma réputé invaincu pendant toute sa carrière. Les fils de cette terrible affaire se délient au fur et à mesure du procès et vont révéler des sombres secrets terrés dans le passé de cette fantasque galerie de personnages.



S’il est mis en scène par un Takashi Miike qui n’a pas le temps de s’embarrasser ou d’avoir froid aux yeux avec l’absurdité de l’univers qu’il adapte, le premier élément notable de cet Ace Attorney se trouve dans son scénario écrit à quatre mains par Takeharu Sakurai et Sachiko Ōguchi. Les deux scénaristes condensent les 5 enquêtes en un peu plus de deux heures, dans un maëlstrom narratif sous forme de cafouillage brutalement chaotique où les affaires défilent aussi vite que les personnages qui les peuplent. La machine, lancée à pleine vitesse sous les tics filmiques habituels de Miike, tourne à plein régime, et même bien trop rapidement pour parvenir à attraper avec lui celles et ceux qui sont étrangers au jeu de base. Cette démesure totale, cet appétit visuel et narratif constant, marque probablement le défaut principal du film, tant il s’abandonne entièrement à sa proposition déflagratoire et à ses insanités inhérentes tout du long de sa suite de procès où les indices valdinguent à un rythme presque confusant. Cela marque-t-il pourtant une adaptation ratée voire même pire, un mauvais film ? Absolument pas. Ace Attorney porte la marque des transcriptions vidéoludiques parfaites, par son sens en béton armé du rythme distinctif du matériau de base, du respect constant de l’incongruité jouissive de son univers, des apports cinématographiques qui servent à emballer les idées du film, mais surtout par sa nature totalement jubilatoire qui rivalise aisément avec les plus grandes comédies hyperactives modernes. Takashi Miike monte un long-métrage branché sur secteur, amplement électrique et assurément pop, à travers un film noir toujours plus pulp qui régale son spectateur autant qu’il le rend perplexe. Si on finit par pardonner la coupe cataclysmique qui orne le crâne de Phoenix, Ace Attorney fonctionne particulièrement dans la fabrication de ses costumes – voulus extrêmement fidèles aux idées saugrenues et too much du jeu originel. On pense notamment aux cheveux de Paul Defès qui défient la gravité, à la tenue violette de médium de Maya Fey en rupture totale avec l’univers dans lequel elle évolue, ou encore au costume massif de Benjamin Hunter qui lui sied pourtant à merveille. Ce Phoenix Wright en live-action rêve en grand, proposant un immense spectacle extrêmement pétillant et constamment hilarant, que ce soit dans ses accents épiques autour de ses personnages loufoques, dans ses moments de gêne où Wright se perd hésitant dans ses papiers alors qu’on attend son argumentaire, dans la façon dont le public réagit aux absurdités des plot-twists (on pense notamment à ce plan génial où tout le monde tombe de sa chaise en rythme au moment où Phoenix fait une conclusion débile) ou encore dans la bande-originale beaucoup trop épique de Kōji Endō.



Habité par un casting extraordinaire qui surjoue à merveille dans des rôles transposés magistraux (Hiroki Narimiya dans la peau de l’extraordinairement incompétent Phoenix Wright, Takumi Saito le génial rival Benjamin Hunter, Mirei Kiritani donnant corps à la sidekick enjouée Maya Fey, ou encore l’impressionnant Ryō Ishibashi saisissant l’impitoyable Manfred Von Karma), cette adaptation d’Ace Attorney – originellement perdue d’avance – se révèle être un petit miracle redoutable de bêtise et extraordinaire de pouvoir comique. Sous son déroulé profondément jubilatoire qui compile les idées insensées du jeu (oui, même l’interrogatoire du perroquet est présent, et on vous assure que c’est une scène à voir absolument) dans un chaos réglé au millimètre qui s’abandonne aux insanités de son univers avec une joie totalement contagieuse, cette adaptation de Phoenix Wright est une pure réussite absurdement cool qui perdra probablement en chemin les néophytes trop étrangers aux bizarreries narratives et visuelles de la saga. Mais pour les curieux et pour celles et ceux qui voudront aller visiter les premières enquêtes de Wright, cette relecture d’Ace Attorney tient la barre et se dresse totalement à la hauteur de toutes ses promesses. On pourrait aller jusqu’à dire que c’est un grand film, mais on risquerait de se prendre un « Objection ! » et on n’est pas vraiment prêt à risquer le diable. Quoique…

Titre original: GYAKUTEN SAIBAN

Réalisé par: Takashi Miike

Casting: Akiyoshi Nakao, Takumi Saitoh, Mirei Kiritani…

Genre: Drame, Policier

Sortie le:  2012

Distribué par : –

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