Critique DVD

LES LUEURS D’ADEN (Critique)



SYNOPSIS : Isra’a vit avec son mari Ahmed et ses trois enfants dans le vieux port de la ville d’Aden, au sud du Yémen. Leur vie quotidienne est rythmée par les effets de la guerre civile : contrôles militaires dans les rues, pannes de courant fréquentes, et rationnement de l’eau. Ahmed, qui travaillait pour la télévision, a dû quitter son poste à la suite de nombreux salaires impayés, pour devenir chauffeur. Ils ont à peine de quoi offrir à leurs enfants une vie normale et une bonne éducation. Quand Isra’a apprend qu’elle est à nouveau enceinte, le couple doit faire face à une nouvelle crise. Ils savent tous les deux qu’ils ne peuvent pas se permettre un quatrième enfant, d’autant qu’ils doivent déménager dans un logement moins cher et qu’il faut payer les frais d’inscription d’école. Ensemble, ils décident d’avorter. Une amie médecin va peut-être les aider…

Dans Les Lueurs d’Aden, le réalisateur Amr Gamal raconte l’histoire d’un ami à lui et de sa femme, tous deux issus de la classe moyenne. Avant la guerre de 2015, ils rencontraient déjà des difficultés matérielles liées à leurs bas salaires. Celles-ci vont être terriblement majorées ensuite. Le cinéaste a toujours de son propre aveu voulu utiliser son art pour raconter sa ville de cœur. Et c’est alors un petit miracle de réussir à construire ce film dans toutes ces étapes dans un Yemen qui précisément ne laisse que peu de place à l’auto-critique. Il n’y a en effet pas de cinéma Yéménite, c’est dire l’ampleur de la rareté des Lueurs d’Aden.


Dans Les lueurs d’Aden, l’adversité est partout, c’est la constance du chaos. La guerre, la manque d’argent donc de tout, ce déménagement dans un logement insalubre. Une dégringolade sociale où les abrutis d’hier deviennent les rois du monde aujourd’hui, mécanisme comme en enfante parfois les crises. La résonance est totale et toute ressemblance avec une situation hexagonale de Juin 2024 n’est aucunement infondée. Tout s’effondre autour de Isra’a et Ahmed, et ils vont pourtant devoir décupler leur force à tous les endroits. C’est l’enchevêtrement du drame de l’intime et de la grande histoire qui donnent une singulière force aux Lueurs d’Aden. Sans jamais en faire trop et avec un récit dépouillé, empreint de réalisme, le film va nous tourmenter par son authenticité. Ainsi démunis de progressivement tout, il va rester face caméra les liens qui unissent la famille, filmée au plus près, dans une empathie fatalement très universaliste. C’est finalement une histoire de permanentes tensions, celles de ce couple, comme torturé et mutilé socialement et économiquement. On ne verra jamais vraiment Isra’a se questionner sur son envie de mère. Juste, il n’y a pas le choix. Cet enfant ne peut pas être au monde. Et la tension d’un pays qui se rationne à tous niveaux, y compris culturellement. Chaque image va être propice à la contrariété et c’est finalement la sobriété de l’ensemble qui va venir rencontrer l’émotion du spectateur.


Isra’a déjà en proie aux incertitudes des lendemains entre les coupures d’électricité, la quasi impossibilité de payer des fruits à ses enfants tant les prix flambent, va également mener cette lutte à pouvoir disposer librement de son corps. Ou quand un état sous le prisme religieux dicte la conduite à tenir, entrave les libertés et uniformise la pensée. Là encore dogme religieux ou prisme idéologique, il faut parfois bien mesurer les dangers de tout système de pensée qui même arrivé par les urnes, ne rend jamais le pouvoir qu’il a reçu. C’est une forme d’aseptisation qui vient empêcher toutes les joies, bloquer tous les projets. On ne les voit finalement jamais heureux, on ne peut pas même deviner leurs sourires. Leur tristesse est bouleversante et nous oppresserait presque. La mise en scène, elle aussi hautement réaliste entre aussi bien les intérieurs, qu’il s’agisse de l’hôpital glauque ou des apparts souvent miteux, qu’avec des plans larges sur Aden, dont on ressent la poésie enfermée, nous donne comme une suffocation. L’énergie des personnages et de la ville sont là, on la sent même avec force, mais elle est terriblement empêchée, et c’est ici que Les lueurs d’Aden trouve la force de son récit.


Khaled Hamdan porte sur lui tous les poids de l’âpreté du monde et l’acteur nous transmet ainsi l’ancrage de sa désespérance. Hoda Ramzi va se battre en toute sobriété et sa révolte intérieure transcende là aussi nos émotions. Ce couple symbolise les luttes qui jamais ne devraient avoir à exister. Au final, Les lueurs d’Aden est en soi un véritable acte de résistance. Sa force est dans cette sobriété, car justement c’est bien le réel qui nourrit la fiction et qui est glaçant. Un tour de force qu’il faut voir en chérissant plus que jamais la force de notre liberté et en n’oubliant jamais la possibilité de son caractère éphémère.

Titre original: AL MURHAQOON

Réalisé par: Amr Gamal

Casting: Khaled Hamdan, Abeer Mohammed, Samah Alamrani…

Genre: Drame

Sortie le: 31  janvier 2024

Distribué par : Paname distribution

Sortie DVD : le 18 juin 2024 chez Blaq Out

EXCELLENT

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