Critiques Cinéma

L’AFFAIRE COLLECTIVE (Critique)


SYNOPSIS : Le 30 octobre 2015, un incendie se déclenche dans une discothèque de Bucarest, le Colectiv. 64 personnes meurent sur le coup. Mais l’horreur ne s’arrête pas là : des dizaines de blessés traités dans des hôpitaux roumains décèdent d’infections nosocomiales dans les jours et semaines qui suivent. C’est un véritable scandale d’Etat qui éclate quand il s’avère que les bactéricides utilisés pour stériliser le matériel médical ou les salles d’opération étaient dilués dix fois par rapport aux niveaux attendus.

Pour un film documentaire, L’Affaire collective a connu un beau succès d’estime puisqu’il a été nommé aux Oscar 2021 non seulement dans la catégorie du meilleur documentaire, mais également dans celle du meilleur film étranger. Même s’il n’a obtenu aucune de ces deux statuettes, cet état de fait signale qu’on a affaire ici à un vrai film de cinéma, qui allie un sujet de société extrêmement puissant (la faillite absolue du système de santé roumain) à des partis pris formels tout à fait marquants. Passés les cartons qui expliquent en quelques mots le drame qui s’est produit pendant et après l’incendie du club Colectiv, les premières images nous plongent tout de suite dans le bain. Les proches des victimes sont réunis pour partager à la fois leur tristesse et leur colère devant l’incurie des autorités. Nous sommes près d’eux. Nul sous-titre pour préciser qui est qui, quel est l’enjeu. Tout au long du film, nous n’aurons que très peu d’informations précises nous permettant de raccrocher les wagons. Alexander Nanau, le réalisateur germano-roumain, choisit plutôt de nous immerger dans l’action, quitte à brouiller la compréhension par moments. Dès cette première scène, on perçoit que l’un des atouts du film, c’est la confiance que le documentariste a su obtenir de la part des différents intervenants, ce qui lui permet de se faire oublier et de capter la vérité du moment, sans filtre.


La première moitié se concentre sur l’enquête menée par le journaliste Cătălin Tolontan et son équipe. Le fait que ce soit un quotidien de sport, et non un journal d’investigation type Médiapart ou Le Canard enchaîné qui mène la danse, dit quelque chose en creux de l’état de la presse en Roumanie. Les soubresauts de l’affaire s’avèrent vite captivants : on voit les journalistes passer des coups de fil, interroger différentes sources, aller sur le terrain… Les révélations se succèdent, et l’affaire prend un tour tentaculaire. Du scandale des désinfectants dilués de manière frauduleuse, la focale s’élargit : faiblesses des processus de nomination des directeurs d’hôpitaux, refus des autorités (pour des raisons d’image) de laisser les patients se faire soigner à l’étranger, etc. Ces scènes d’immersion sont entrecoupées d’images de JT ou de conférences de presse qui permettent de manière relativement allusive de comprendre les répercussions politiques et judiciaires du travail de la presse. Le scandale est tellement édifiant qu’il aurait sans doute mérité plus de développements. On apprend par exemple la mort suspecte du directeur de l’entreprise pharmaceutique qui produisait le désinfectant incriminé. Meurtre ? Suicide ? On ne le saura pas, ce qui peut être légèrement frustrant.


Vers la moitié du film, Alexander Nanau opère un virage : suite à la démission du ministre de la Santé, un nouveau ministre de centre-droit au visage poupin, Vlad Voiculescu, entre sur le devant de la scène avec la volonté de lutter contre la corruption et l’incompétence de la filière hospitalière. Les séquences qui suivent sa croisade pour rétablir un peu de considération pour les patients sont sans doute les meilleures de L’Affaire collective. Le réalisateur a accès aux coulisses, aux discussions avec les conseillers sur la stratégie politique, aux séances de préparation des conférences de presse. On a l’impression d’être une petite souris qui entend tout, et c’est assez grisant. Le ministre s’y montre très empathique avec les victimes et déterminé à faire bouger les lignes, quitte à bousculer son administration – les directeurs d’hôpitaux notamment. Ceci est passionnant mais ne manque pas de faire naître une interrogation sur le dispositif mis en place : quelle est la part de transparence et de bonne foi chez Voiculescu ? Quelle est la part de calcul et de mise en scène de sa propre probité ? Chacun se fera sa propre opinion, mais le fait est que le ministre de la Santé y apparaît sous un jour très favorable, véritable chevalier blanc au milieu d’un marigot d’apparatchiks corrompus. Il est un peu dommage aussi que le film s’arrête net au moment où la majorité perd les élections et où Voiculescu s’interroge sur ce qui va rester de ses réformes, sans que le documentaire ne livre d’éléments de réponse. Mais cela reste de l’ordre du détail car le cœur émotionnel du film se situe ailleurs. En contrepoint des passages touchant à l’affaire proprement dite, un autre film se déploie : le temps de quelques scènes plus distanciées, la caméra s’arrime à une rescapée de l’incendie, gravement brûlée aux bras et aux mains, défigurée. La jeune femme touche par l’extraordinaire résilience dont elle fait preuve, reprenant possession de son corps meurtri en devenant le modèle d’une exposition photo. Les images sont difficiles mais très belles et pleines d’espoir.


En conclusion, on ne saurait trouver meilleur titre que L’Affaire collective car ce que le film révèle, c’est que derrière le fait-divers tragique, c’est toute la société roumaine qui est touchée : les agissements franchement criminels de quelques-uns (les entreprises pharmaceutiques), couplées aux négligences et compromissions de beaucoup d’autres (les soignants, la classe politique, la presse mainstream) ont des conséquences sur le corps social dans son ensemble, et plus spécifiquement sur les plus fragiles que sont les malades. On sort de là dégoûté mais aussi admiratif du courage des quelques personnages qu’on aura suivis, et étrangement optimiste quant à la capacité de toute société à s’améliorer.


Titre Original: COLECTIVE

Réalisé par: Alexander Nanau

Casting: –

Genre: Documentaire

Sortie le: 14 septembre 2021

Distribué par: Dulac Distribution

TRÈS BIEN

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