LOVES LIES BLEEDING (Critique)

Par William François le juin 12, 2024 • ( Poster un commentaire )

SYNOPSIS : Lou, gérante solitaire d’une salle de sport, tombe éperdument amoureuse de Jackie, une culturiste ambitieuse. Leur relation passionnée et explosive va les entraîner malgré elles dans une spirale de violence.

Dans le restreint milieu du film d’horreur indé, la petite bombe Saint Maud avait fait bel effet à sa sortie en 2019, en mettant le nom de sa metteuse en scène britannique, Rose Glass, au centre de l’attention. Son deuxième long-métrage était ainsi particulièrement attendu, pour son potentiel cinématographique d’abord, puis pour sa promesse au moment où les premiers détails de l’intrigue et de la composition du casting se sont fait connaître. Un thriller lesbien dopé aux stéroïdes, voyant Kristen Stewart et Katy O’Brian tomber raides dingues l’une de l’autre alors qu’une spirale criminelle les emmène dans une aventure palpitante : il n’en fallait pas tant pour titiller les attentes du public fanas du genre. L’histoire de Love Lies Bleeding se centre d’abord sur le personnage de Lou (Kristen Stewart), gérante d’une salle de sport coincée dans le désert du Nevada. Un jour, une certaine Jackie (Katy O’Brian), culturiste ambitieuse en direction de Las Vegas pour participer à un concours, vient s’entraîner dans sa salle. Les deux femmes tombent amoureuses, interconnectent leurs corps de diverses manières, avant de s’attirer de sérieux ennuis lorsqu’elles se retrouvent avec un cadavre sur les bras et que le père de Lou (Ed Harris en chef gangster à la calvitie hasardeuse) se mêle à la situation.

Rose Glass s’aventure avec ce deuxième long-métrage dans les embouchures du thriller érotico-criminel néo-noir, avec l’ambition affichée de plonger les classiques des frères Coen dans une version remixée et 100% lesbienne du Thelma & Louise de Ridley Scott. Pourtant moins road-movie que ce dernier, Love Lies Bleeding s’abandonne corps et âme à son concept et aux merveilles d’écriture et d’interprétations que sont ses personnages. Glass signe le script avec le concours de Weronika Tofilska, et fournit à Stewart et O’Brian deux protagonistes absolument démentielles, aussi entraînantes, fascinantes que frontalement charismatiques – les deux comédiennes aux sommets de leurs arts, nourrissant une alchimie plus que palpable qui inonde l’écran à chaque seconde par son évidence totale. Il en est de même pour le reste du casting, prouvant tête par tête le talent de directrice d’acteur.ice.s de sa metteuse en scène : Ed Harris est brillant en big bad sadique et sans cœur, Dave Franco régale en redneck misogyne et impulsif, Juno Temple donne âme à un personnage qui aurait pu n’être que fonctionnel dans le film de quelqu’un d’autre, et Anna Baryshnikov est géniale en stalkeuse discrète.

L’ensemble est dirigé dans une énergie contagieuse, continuellement au service du ton de ce thriller enflammé, se permettant autant de digresser dans de l’humour situationnel que dans d’occasionnelles évocations horrifiques qui rappellent l’imaginaire de sa réalisatrice. Rose Glass utilise particulièrement le ressort scénaristique du corps en pleine mutation pour faire un vrai/faux film de monstre, caché derrière les cadavres et les règlements de compte, fermant le film sur un climax à peine fantasmagorique qui s’aventure en hors-piste dans une conclusion proprement jubilatoire et définitivement plus grande que nature.

Sous le travail magnifique de l’image composée par Ben Fordesman et sous la BO pulp et électrique dégainée par Clint Mansell et les quelques needledrops 80s qui régalent les oreilles, Love Lies Bleeding est une pure réussite réjouissante et sans concession, aussi follement stylisée qu’âprement maîtrisée, qui évoque ses classiques (ceux cités précédemment, sans oublier le Bound des Wachowski) pour mieux s’en défaire avec panache. Rose Glass signe un hit populaire en puissance, au casting impressionnant et au rythme palpitant, faisant de ses deux héroïnes moralement ambigües des figures déjà mémorables du thriller criminel moderne, où la romance, le sexe et la mort se croisent dans un cercle vicieux jubilatoire dans lequel on se plonge sans aucun déplaisir.