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SHŌGUN (2024) (Critique Mini-Série) La télévision à son meilleur…

SYNOPSIS : En 1600 au Japon, à l’aube d’une guerre civile qui marquera le siècle, John Blackthorne, le commandant anglais d’un mystérieux navire abandonné sur la plage d’un village de pêcheurs voisin, est porteur de secrets qui pourraient faire pencher la balance en faveur du seigneur Yoshii Toranaga, engagé dans une lutte à mort contre ses ennemis du Conseil des régents. Ils réduiraient du même coup l’influence des ennemis de Blackthorne, les prêtres jésuites et commerçants portugais. Les destins de Toranaga et Blackthorne seront inextricablement liés à leur traductrice, Toda Mariko, une mystérieuse chrétienne de noble extraction, dernière d’une lignée tombée en disgrâce. Tout en servant son seigneur dans ce paysage politique tendu, Mariko devra concilier sa relation avec Blackthorne, son engagement envers la foi qui l’a sauvée et le devoir d’une fille envers son défunt père.

En 1980 l’adaptation du pavé Shōgun de James Clavell un livre de 1975 comptant plus de mille pages et pourtant best-seller, qui donnera naissance à une série de livres à succès pour l’auteur, connue sous le nom de « Saga asiatique » puis à une mini-série de prestige de neuf heures pour la télévision  qui a eu un impact considérable sur le public et la pop-culture. Diffusée sur NBC pendant cinq nuits consécutives (en France trois ans plus tard sur TF1) , devenant le programme le plus populaire de l’histoire de la chaîne et le deuxième après Roots d’ABC, toutes chaînes confondues. Avec Richard Chamberlain et Toshiro Mifune, en vedette, Shōgun a été un véritable phénomène culturel d’une façon qui n’est plus vraiment possible en 2024 avec la fin de la monoculture qu’a engendré l’ère du streaming.

La chaine FX entreprend de ressusciter cette histoire légendaire dans sa propre mini-série de prestige en 10 épisodes, en modernisant l’œuvre de Clavell de deux manières : en abordant d’une part le Japon médiéval du 16ème siècle à la manière d’un univers médiéval fantastique à la Game Of Thrones (même si les showrunners Justin Marks (Top Gun: Maverick) et son épouse Rachel Kondo avouent que c’est un autre show HBO Succession qui leur a servi de modèle pour les intrigues de palais) pour séduire un jeune public et d’autre part en impliquant le plus possible des créateurs et des équipes japonaises pour apporter le plus d’authenticité à un récit qui pourrait tomber dans l’orientalisme et le mythe du « white savior ».

Clavell l’auteur du roman, avait lu dans le manuel scolaire de sa fille qu’un Anglais se rendit au Japon en 1600 et devint un samouraï. Librement inspirée du véritable navigateur du XVIIe siècle William Adams, le personnage de John Blackthorne (excellent Cosmo Jarvis), un marin anglais fait le tour du monde et alors que la plupart des navires qui l’accompagnaient ont coulé et que son capitaine envisage de se suicider avant de succomber à la faim, est persuadé que la terre est proche. Bien sûr, il a raison et le navire émerge du brouillard devant des villageois stupéfaits, comme sorti d’un film d’horreur et fait naufrage sur la côte japonaise. Blackthorne débarque au Japon à une époque de grands bouleversements. Le taiko Toyotomi Hideyosh, le chef suprême, vient de mourir, laissant un héritier trop jeune pour régner. Cinq seigneurs guerriers forment un conseil de régents qui assurent l’intérim, mais les tensions entre eux menacent d’éclater en une guerre civile. L’un d’entre eux, le seigneur Yoshii Toranaga (un grand Hiroyuki Sanada), est devenu l’ennemi des quatre autres et se rend compte qu’il devra peut-être entrer en guerre pour rester en vie. Blackthorne doit naviguer dans le paysage religieux de la région avec l’influence portugaise sur le pays, portugais qui ont caché l’emplacement du Japon à leurs compatriotes européens afin d’établir un monopole commercial, cherchant à introduire le catholicisme au Japon, en contraste frappant avec le protestantisme de Blackthorne, qui fait de lui un allié des Japonais sceptiques. Shōgun aurait pu facilement devenir un nouveau The Last Samurai,Sanada jouerait le rôle de mentor pour un protagoniste occidental transplanté, mais la série adopte davantage une approche d’ensemble plutôt que de centrer l’histoire sur les expériences de John. John devient un pion que Toranaga et ses rivaux manipulent à leurs propres fins. De la même manière que John se promène de façon comique dans un jardin magnifiquement entretenu, il perturbe également les plans soigneusement élaborés en essayant de poursuivre ses propres objectifs pour entraîner le Japon dans la guerre entre les empires catholiques et les royaumes protestants. Au début, il n’est guère plus qu’une monnaie d’échange, déplacée à travers le pays en tant que stratège potentiel dans la bataille à venir. Il se rapproche rapidement de Toka Mariko (Anna Sawai vu dans la série Monarch) qui sert de traductrice à Blackthorne, une femme qui comprend ce qu’il faut faire pour naviguer dans ce monde , se sauver et sauver ceux qu’elle sert.

La mini-série a une ambition indéniable, elle ne ressemble pas à beaucoup d’autres séries télévisées épiques parce qu’elle est tout simplement mieux réalisée que la plupart de ses concurrentes. Même si il faut un certain temps pour s’y habituer. Dans la version de 1980 le japonais parlé par des acteurs comme Toshiro Mifune n’a pas été traduit, afin de nous enfermer dans le point de vue de Blackthorne créant un récit de sauveur blanc, la version FX écarte judicieusement cet aspect, en livrant la plus grande partie de sa narration et des dialogues en japonais sous-titré, l’anglais étant conservé pour Blackthorne et les personnages portugais . Ce mécanisme permet d’équilibrer l’importance entre Blackthorne et les personnages japonais même si la série étant plutôt bavarde et regorgeant d’une multitude de personnages secondaires il en rend l’abord plus difficile. Il faut au spectateur un temps d’adaptation pour pleinement entrer dans le langage télévisuel de Shōgun mais il est vite récompensé. Oui la série se prend au sérieux mais justifie cela par un ampleur dans les images et des personnages ancrés dans la réalité de l’époque mais riches de nombreuses dimensions. Les personnages secondaires en particulier se révèlent par leurs interactions avec le trio principal sans que la série ait besoin de détourner l’intrigue principale pour les développer.

La plus grande force de cette adaptation réside dans sa mise en scène spectaculaire au langage cinématographique remarquable, comme tiré d’un long métrage épique à l’ancienne. De vastes plans de paysages accompagnés d’une musique luxuriante feraient croire à quelqu’un qui tomberait par hasard sur la série qu’il s’agit d’un long métrage à gros budget. Non seulement Shōgun a l’envergure d’un film épique mais contrairement à d’autres films ou séries comme The Rings of Power la série justifie cette envergure, avec une écriture et des personnages de grandes qualité. Blackthorne, Toranaga et Mariko sont tous très différents et sont tous dépeints comme brillants, sachant que leurs instincts sont ce qui leur permettra de survivre.

Hiroyuki Sanada est une figure familière du cinéma US où il incarne depuis 30 ans cette figure du samouraï dans des films comme 47 Ronin ou John Wick 4 mais le seigneur Yoshii Toranaga lui permet de composer un personnage beaucoup plus complexe et fidèle à la culture japonaise et il commence la série en étant apparemment acculé. Sanada livre une performance magistrale, avec un charisme qui imprime l’écran même dans les scènes où Toranaga doit se faufiler pour échapper à ses pairs du conseil, qui se sont regroupés pour le destituer. L’assurance du personnage, sa perspicacité et sa capacité à mépriser quiconque le défie permettent de comprendre pourquoi il est considéré comme si dangereux par les autres régents. En positionnant Toranaga comme l’outsider et en le faisant revenir lentement d’une mort imminente, les scénaristes font en sorte qu’il soit facile d’adhérer à son point de vue et souhaiter son succès, même si le portrait de ses ennemis devient plus nuancé à mesure que la série avance et que les motivations et les actions de Toranaga deviennent plus discutables. Toranaga voit les avantages de l’arrivée soudaine de Blackthorne et commence à manœuvrer sa présence à son propre avantage. Cosmo Jarvis un étonnant mélange de Tom Hardy et James Caan joue Blackthorne comme un véritable rustre loin de l’élégance de Richard Chamberlain, un soudard grossier et picaresque mais également un brillant improvisateur, dont l’instinct lui permet de trouver sa place dans n’importe quelle dynamique. Blackthorne ne développe jamais une maîtrise miraculeuse de la langue, et les scénaristes trouvent constamment de nouvelles façons d’utiliser la barrière de communication entre lui et ses ravisseurs. C’est une source d’humour dans les premiers épisodes, car ils se font souvent écho sans le vouloir dans leurs menaces, leurs moqueries et leurs accusations de barbarie mais montre également l’évolution du personnage, d’un moment de tendresse où il tente d’exprimer grossièrement sa gratitude, à une démonstration de la façon dont il utilise intelligemment des phrases préparées pour cacher son ignorance du mieux qu’il peut. Le troisième pilier de Shōgun est sa guide et traductrice Toda Mariko, une vassale de Toranaga qui s’est convertie au catholicisme après une terrible tragédie. Le personnage est animée par une quête de vengeance qui la conduit à devenir la cheville ouvrière du plus grand conflit de la série. Sawai dépeint magnifiquement cette retenue ne rendant les moments où elle perd son sang-froid que plus puissants, ce bouillonnement des émotions de Mariko derrière sa façade impassible sert de métaphore au Japon de Shōgun. A leur coté on trouve de nombreux personnages secondaires le plus marquant étant Kashigi Yabushige incarné par Tadanobu Asano (vu dans 47 Ronin et les trois Thor du MCU), un seigneur au service de Toranaga mais qui passe toute la série à essayer de s’assurer qu’il est toujours du côté gagnant du conflit qui s’intensifie. Sa forme maladroite de traitrise fournit un excellent contrepoint comique , en particulier dans ses conflits avec Blackthorne.

Comme Game of Thrones, Shōgun met en avant le caractère brutal et sanglant de ce monde : de multiples décapitations, rapides et sans pitié, un homme est lentement ébouillanté, selon la « méthode spéciale » d’un chef de guerre souriant ou les résultats dévastateurs de l’emploi de canons contre des samouraïs à cheval. La série déploie une panoplie d’armes étourdissante et une série de batailles magnifiquement chorégraphiées, qui s’enflamment comme des torches au milieu des dialogues explicatifs. Il y a des assassinats et un acte particulièrement horrible de seppuku. Mais les conflits ne sont jamais gagnés ou perdus en fonction de qui est le meilleur archer ou le meilleur épéiste mais déterminés par les intrigues mises en place avant le début des combats et par la capacité des attaquants à évaluer leurs ennemis et leurs motivations.

Shōgun est la télévision à son meilleur, utilisant au mieux son budget pour créer un monde immersif, sans laisser le spectacle nuire à l’accent mis sur des personnages complexes. Les performances sont convaincantes, aidées par une écriture qui passe de l’humour au drame poétique offrant de la profondeur aux protagonistes et même aux personnages secondaires. La série mêle harmonieusement intrigue, humour, romance et action dans une série limitée magnifiquement exécutée qui ne cesse de réserver des surprises. Excellent.

Crédits : Disney+

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