L’AFFAIRE VINČA CURIE (Critique)

Par William François le juin 3, 2024 • ( Poster un commentaire )

SYNOPSIS : Octobre 1958, en pleine guerre froide, des scientifiques yougoslaves sont gravement irradiés dans le cadre d’une mission tenue secrète. Ils sont soupçonnés de travailler à la fabrication d’une bombe nucléaire. Rapatriés en France, ils sont pris en charge par le professeur Mathé à l’Institut Curie. Une course contre la montre s’engage alors pour les sauver…

Adaptant le roman L’Affaire Vinča, écrit par le cardiologue serbe Goran Milašinović, le nouveau long-métrage mis en scène par le réalisateur Dragan Bjelogrlić pose ses caméras en pleine Guerre Froide. En 1958, alors que les tensions entre les blocs soviétique et américain sont au plus haut et que la course à l’armement bat son plein, le Professeur yougoslave Dragoslav Popović travaille avec ses élèves sur un réacteur nucléaire près de Belgrade. Lorsqu’un accident survient, et que les scientifiques se retrouvent irradiés à forte dose, ils sont envoyés à l’Institut Curie pour être pris en charge par le Docteur Jammet et le cancérologue Georges Mathé. L’Affaire Vinča Curie se scinde alors en deux timelines pour raconter son récit, l’une suivant le traitement des irradiés dans l’Institut français – où le protagoniste s’avère être le Professeur Mathé – et l’autre dévoilant à coup de flashbacks le cours des évènements ayant mené à l’incident au cœur du réacteur sur lequel les scientifiques yougoslaves travaillaient. Par un très efficace travail de mise en scène, mettant ses humains au cœur d’un huis-clos de fortune qui permet de dégager toutes sortes d’émotions chez le spectateur, Bjelogrlić fabrique un vibrant concentré de cinéma, à la croisée des cultures yougoslaves et françaises.

Le film s’accroche particulièrement à la relation d’abord conflictuelle puis amicale entre Mathé et Popović, alors que le récit accompagne également les moments de vie de cette jeune bande d’élèves physiciens quasiment condamnés à mort par l’accident. L’Affaire Vinča Curie dégage une forte énergie dramatique, faisant état du pessimisme ambiant avant de faire, petit à petit, scène après scène, poindre ce qu’il faut d’espoir pour engager la volonté de survie de ses protagonistes comme l’intérêt empathique du spectateur. Le long-métrage explore alors les détails des protocoles médicaux qui survenaient lorsque la science était dépassée, le Professeur Mathé se donnant alors l’obligation morale de trouver le moyen de soigner les hauts taux de radiations sur le corps humain. Le processus narratif du film mène alors à l’invention révolutionnaire qui naîtra de cette singulière histoire, à savoir la greffe de moelle osseuse. En plus d’offrir un portrait scientifique et référencé de ce fait divers majoritairement inconnu dans l’esprit du grand public, Bjelogrlić raconte également les tensions géopolitiques qui font vibrer les deux blocs par la constante omniprésence de la question nucléaire des deux côtés. Si le film ne fait pas vraiment de mystère sur la nature des expériences menées par Popović dans son réacteur, son processus scénaristique lui permet de mettre en lumière les protagonistes qui ont permis de faire de cette histoire une avancée fulgurante dans la médecine moderne.

En construisant à la fois un récit politique, scientifique et social, L’Affaire Vinča Curie se fait étonnamment humain dans sa trame, dessinant une peinture très attachante de ses personnages principaux par le prisme des opérations médicales testées sur les physiciens yougoslaves. Bjelogrlić raconte une histoire sur la solidarité qui naît lorsque l’humanité est poussée à ses limites, donnant lieu à des séquences particulièrement touchantes. En soit, le film propose une exploration très nuancée de cette affaire aux proportions internationales – mais confinées dans un réacteur yougoslave puis dans un institut français – donnant à ses personnages, et par conséquent à leurs interprètes, la possibilité de raconter l’Histoire par les yeux de ses humains. En tête de liste, c’est le curieux duo Alexis Manenti/Radivoje Bukvić qui mène la danse, dans une dualité brillamment tissée simplement heurtée par une direction de dialogues parfois trop formelle. Les deux comédiens sont excellents de part en part, à l’instar de la troupe qui les accompagne et qui forme la colonne vertébrale de ce récit de survie.

Par son équilibre de ton habilement maîtrisé et par l’exercice de genre qu’il accomplit, L’Affaire Vinča Curie s’avère être une proposition saisissante qui, en évitant les codes rébarbatifs de l’habituel film « inspiré d’une histoire vraie » sans digresser dans un quelconque exercice de style prétentieux, permet de saisir l’instabilité de la période qu’il dessine tout en mettant un point d’honneur à raconter les instincts de solidarité et d’optimisme ayant le pouvoir de naître dans l’obscurité.