Critiques Cinéma

LA PRISONNIÈRE DE BORDEAUX (Critique)


Alma, seule dans sa grande maison en ville, et Mina, jeune mère dans une lointaine banlieue, ont organisé leur vie autour de l’absence de leurs deux maris détenus au même endroit… A l’occasion d’un parloir, les deux femmes se rencontrent et s’engagent dans une amitié aussi improbable que tumultueuse…

Réalisé par Patricia Mazuy, ancienne monteuse d’Agnès Varda, La prisonnière de Bordeaux, le huitième long métrage présenté à Cannes en 2024 dans la sélection de la Quinzaine des Cinéastes réunit deux noms au casting qu’il est très réjouissant d’imaginer partager le haut de l’affiche : Isabelle Huppert et Hafsia Herzi. Sachant que leur cinéaste du jour a pour passion entre autres de sonder le cœur des hommes. Avec ces deux femmes fortes, où les classes vont se confronter, c’est tout un programme cette prisonnière de Bordeaux !! Et c’est d’abord un vrai film de rencontre. Avec toutes les aspérités inhérentes, mais sans tous les stéréotypes qui vont avec. Comme tout a été tellement déjà dit et déployé en la matière, La prisonnière de Bordeaux a le mérite du suggestif et du sens de l’ellipse. On a déjà compris qu’il s’agit de l’alliance des contraires. Ici, c’est la finesse et l’intelligence qui vont prédominer. Aidé aussi par le caractère fantasque du personnage incarné par Isabelle Huppert, Alma, qui va briser la glace comme qui rigole, mais aussi car elle semble sans la connaître avoir déjà besoin de Mina.


Car elles ont ce partage de l’indicible, avoir un mari emprisonné. Alma n’est pas réellement seule, car elle a gardé les amis du couple, d’une bonne petite bourgeoisie un peu snob à la française. Mais elle voit en Mina une compagnonne d’infortune. Mina quant à elle, n’est pas seule non plus, mais c’est différent, car elle a en charge les enfants et les emmerdes laissé par Monsieur, même embastillé. Évidemment davantage dans l’introspection, elle va se laisser comme charmer par l’excentricité de sa nouvelle amie, qui en sus va agir auprès d’elle comme une véritable bienfaitrice. Ça ne se refuse jamais quand on n’a presque rien. La prisonnière de Bordeaux, c’est aussi un film sur les choix que l’on fait, donc sur nos renoncements, et sur parfois la manque de fantaisie de nos vies, qu’on ne peut cependant que difficilement réinventer tous les mois.


Et puis, nous est également montré cet irréconciliable de classes sociales aux antipodes. Comme si malgré les meilleures et plus généreuses intentions du monde, malgré la beauté et la magie d’une rencontre dans la passion balbutiante des débuts, même amicaux, l’on est toujours rattrapé en somme par sa condition. C’est alors toute la violence sociale qui est déployée ici, avec notamment celle qui a le bon avocat, bien cher. Elles sont toutes les deux dans la même situation, donc la comparaison est tout sauf outrancière et elle est glaçante sur l’inégalité réelle de nos quotidiens occidentaux. Le moment où Mina se retrouve face aux amis bien bourges d’Alma est glaçant. Face à la condescendance et aux insupportables snobismes des premiers, surement prompts à défendre certaines causes, surtout quand elles sont loin de chez eux, Mina va exterminer très délicatement ceux qui la regardent en bête curieuse en assénant tout en vidant son verre : « C’est un bon vin, bon et cher, comme les bons avocats « .


Tout l’enjeu de La prisonnière de Bordeaux sera alors de savoir si dans les péripéties qui seront les leurs, l’improbabilité de leur rencontre parviendra quand même à casser les codes et à faire vaciller l’ordre établi. En tous les cas, une chose est sûre dans La prisonnière de Bordeaux, c’est qu’on rit beaucoup, surtout car les dialogues sont en dentelles, jamais trop verbeux, toujours intelligents et parfois drôles à couper au couteau. C’est aussi un vrai film de femmes, on ne voit pas les maris tout de suite et en vrai ça fait du bien. Loin du joug patriarcal, c’est quand même tellement plus l’éclate !! Et bien sûr le casting, avec ce duo qui est juste formidable. Toute l’extravagance du personnage joué par Isabelle Huppert face à la sobriété, presque l’effacement de celui de Hasfia Herzi. Isabelle Huppert est une Alma complètement décalée. Barricadée dans sa maison bourgeoise, avec ses amis bien sous tous rapport et sa femme de ménage, elle ne sait plus faire à manger, ne sait plus sortir, et n’a plus aucun code. Mais elle est maline, elle ment, raconte n’importe quoi et tout passe. Elle est comme insatiable dans sa découverte de Mina. Isabelle Huppert, en faisant souvent la même chose donne le sentiment de se réinventer à chaque fois, signe d’une actrice au talent prodigieux. Forcément, Hasfia Herzi dans le rôle de Mina, c’est l’antithèse. Comme s’excusant d’être encore là et semblant porter le poids du monde sur ses épaules. Elle vit pour ses enfants, pour son mari, même sous les verrous. Mais évidemment, à la rencontre de sa pote déphasée, elle va venir se dépasser, s’ouvrir davantage au monde et enfin s’autoriser du plaisir. Pour elle. Comme femme. Et en cet endroit, l’actrice livre une prestation très profonde. Au final, La prisonnière de Bordeaux, qu’il s’agisse de cette rencontre foisonnante, du drame social ou de tous les thèmes qu’il déflore, reste toujours très naturaliste et n’en fait jamais trop. Cette absence de superflu en fait une œuvre autant intelligente qu’attachante. Un très bon moment de cinéma.

Titre original: LA PRISONNIÈRE DE BORDEAUX

Réalisé par: Patricia Mazuy

Casting: Hafsia Herzi, Isabelle Huppert, Magne-Håvard Brekke…

Genre: Drame

Sortie le: Prochainement

Distribué par : Les Films du Losange

EXCELLENT

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