Critiques Cinéma

DIAMANT BRUT (Critique)

SYNOPSIS : Liane, 19 ans, téméraire et incandescente, vit avec sa mère et sa petite sœur sous le soleil poussiéreux de Fréjus. Obsédée par la beauté et le besoin de devenir quelqu’un, elle voit en la télé-réalité la possibilité d’être aimée. Le destin semble enfin lui sourire lorsqu’elle passe un casting pour « Miracle Island ».

On ne sait que peu de choses de la réalisatrice de Diamant Brut, la jeune Agathe Riedinger. Formée aux arts décoratifs de Paris, elle va faire de la télé réalité un véritable objet d’études, tant la fascination de toute une génération et plus encore, pour la crasse cathodique est une réalité autant ancrée que glaçante. Elle y touche avec déjà toute l’insolence de son talent lui aussi brut dans son premier court-métrage J’attends Jupiter. Où le thème prêt à tout pour réussir, tuer le chien, vendre le cousin ou tronçonner son parent pour le quart d’heure de célébrité très Warholien, s’il n’est donc pas novateur est traité avec la radicalité de l’artiste et la fraîcheur de la femme de son temps. Alors, passant au long-métrage avec Diamant brut, qui plus est dans la sélection officielle de Cannes 2024, autant dire que notre attente est folle. Sans le connaître, sur le papier, c’est comme si le film portait déjà tellement bien son nom.


C’est ici les codes de la sur-féminité, la loi de l’artifice et clairement la déliquescence de la construction d’une pensée élaborée, qui vient se heurter aux codes d’une violence inouïe de la télé réalité, entre l’hypersexualisation des corps féminins, l’appât du clinquant, le vouloir plaire, qui ne sera jamais autre chose que le plaisir des laids ! Comme si être aimé était une vocation, tant les carences sont béantes. Mais évidemment point question d’un prisme moralisateur pour la réalisatrice, qui nous place du côté de la candidate avec cette effroyable dichotomie d’une forme de détermination à la revanche sociale pour une société devenue verbeuse et trop rarement pensante. On y voit les agressions ordinaires subies par Liane, par des blousons noirs de l’époque qui juste n’ont pas les codes. Un système que Liane maîtrise pleinement, c’est une femme forte à sa façon qui ne s’en laisse pas compter, elle est en phase avec son temps. C’est un portrait de femme, donc politique car d’une époque. Cette dimension politique est massive quant à un moment la « casteuse » pour l’émission de TV réalité dit à Liane « ils ont beaucoup aimé qui tu étais ». Ce « ils » invisible, bien caché et bien au chaud qui décide qui sera jeté en pâture, qui on extrait de sa condition pour l’exposer cathodiquement comme nouveau produit, nouveaux corps à investir pour un public tel les jeux du cirque. C’est le « ils » de l’enfer, le « ils » de la fin de temps. Et au final c’est même une déféminisation tant Liane rajoute à son corps, c’est toujours plus, plus d’ongles, plus de sein, de fesses…

Dans Diamant brut, on est tout le temps avec Liane. Non pas du côté du jugement mais du côté de sa souffrance. Sa douleur est palpable, elle le marque sur sa peau. L’abandon, la précarité, le manque de transmission d’un socle psycho-affectif et culturel qui permet une émancipation autre que celle de la bestialité des corps et d’une forme de sous-culture de masse autant flippante que dangereuse. Une lutte des classes très contemporaine avec comme une inaccessibilité au beau, au grand et à l’art qui se substitue par « mes chéris », « ma sœur » et une immédiateté instinctive, vulgaire et irréfléchie et où tout se vaut. La violence de l’artifice se déploie dans le film sans détour manichéen, juste du montré, du brut justement et du réel, qui rend le récit d’autant plus glaçant. C’est la déliquescence que l’on sait ou sur un réseau social, une phrase anonyme qui fait saigner l’orthographe et la syntaxe et va venir s’ériger en supériorité philosophique de toute l’œuvre des lumières.


Il est aussi beaucoup question de lumières dans Diamant Brut dans des couleurs confinant parfois à une forme de mysticisme qui vient appuyer cette forme de surabondance consumériste. C’est parfois saccadé, mais l’intention artistique, le geste de mise en scène est massif, et profondément touchant dans cet alliage de fraîcheur et de modernité. Le casting s’est fait en cohérence avec le sujet, car les acteurs sont pour une grande partie non professionnels. Ils sont ici avec leurs vérités, ce qui authentifie la narration. Clairement, Malou Khebizi dans le rôle de Liane, pour une première apparition, un premier jeu, est bouleversante dans sa détermination à se faire une place dans le game, à vouloir à ce point être aimé, compter pour l’autre. Sa rage est folle, son corps s’expose et comme se sépare d’elle-même pour n’être plus qu’un outil, un bout de viande juste avant l’abattoir. L’actrice rend son personnage aussi exaspérant qu’empathique. Une prestation qui s’ancre. Diamant Brut est un témoignage précieux et presque très anxiogène sur le renoncement au beau, chloroformé par une forme d’abêtissement des foules, à qui l’on annihilerait tout exigence. Diamant brut nous parle de l’urgence à restaurer une pensée, car c’est aussi la peur de la suite. Avec ce film, après coup, il nous en reste quelque chose, et même pas qu’un peu, et ça tombe bien car c’est ce que l’on va chercher au cinéma !!

Titre original: DIAMANT BRUT

Réalisé par: Agathe Riedinger

Casting: Malou Khebizi, Idir Azougli, Andréa Bescond…

Genre: Drame

Sortie le: 9 octobre 2024

Distribué par : Pyramide Distribution

EXCELLENT

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