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SYNOPSIS : Une course effrénée à travers une Amérique fracturée qui, dans un futur proche, est plus que jamais sur le fil du rasoir.
Cette semaine c’est enfin la sortie de Civil War, le grand spectacle d’A24 signé Alex Garland dont la promotion s’intensifie chez nous (il est déjà sorti en Amérique) et pour lequel le box-office pourrait créer (on l’espère pour lui en tout cas) la surprise. Le film a un triple atout (dont deux aspects que nous avons déjà cités) qui crée par synergie un événement loin d’être anodin. D’abord c’est A24 qui produit ; malgré récemment quelques semi-déceptions (les prometteurs Beau is Afraid et Dream Scenario dont les sorties de route d’un point de vue qualitatif nous ont un peu peiné par rapport aux attentes que nous placions en eux) la société demeure toujours un refuge sûr et un gage de créativité qui repousse sans cesse les barrières que l’on peut trouver ailleurs (et c’est en cela que même une semi-déception demeure une forme de prouesse dès lors que l’idée de départ n’est pas bridée inutilement). Civil War c’est surtout le premier film à gros budget d’A24 (50M$ sans compter tous les coûts promotionnels annexes) ce qui en fait une sortie importante pour la société. Ajoutons à cela Alex Garland qui ne nous a jamais déçu jusqu’à présent et dont chaque œuvre visionnée reste inaltérablement gravée un peu en nous par le biais de passages très précis qui savent comment titiller nos psychoses les plus enfouies. Même sa série Devs avait réussi à imposer sa singularité. Il faut dire qu’Alex Garland laisse rarement indifférent et ce n’est pas son dernier film en date, Men, qui démontrera le contraire, lui qui avait fait couler beaucoup d’encre (et que nous avons de notre côté adoré). Enfin, alors que d’habitude les américains aiment mettre en scène des conflits les opposants au reste du monde, qu’il s’agisse d’autres pays ou de civilisations extraterrestres, Civil War va à contre-courant en présentant une guerre interne qui résonne tout particulièrement en période d’élections américaines. Civil War est-il alors l’évènement escompté ?

Pour quiconque connaît un peu le bonhomme Alex Garland, chaque vision proposée par ses soins au cours d’un film est une vision qui n’hésite pas à s’affranchir des conventions morales et à enfoncer des portes où l’on ne pensait pas spécialement à la base aller se balader. En général les moments dérangeants sont de mise et ils s’imbriquent au sein d’une atmosphère souvent elle-même poisseuse, étrange ou à tout le moins malsaine qui confronte les êtres humains de son histoire à des choses plus grandes qu’eux (parfois simplement d’un point de vue fantastique ou spirituel) qui les renvoient pourtant à leur propre individualité. Civil War échappe et n’échappe pas à la règle. Pour décrire le film disons qu’Alex Garland n’a certainement pas pu construire le film de la même façon que ses projets habituels car il s’agissait d’un exercice différent : un enjeu financier majeur pour A24 qui nécessite nous le supposons d’être plus abordable que les essais habituels du réalisateur, un film de Guerre « réel » avec les exactions qui vont avec donc d’une certaine façon davantage normé, une galerie de personnages, une construction sous forme de road trip…Civil War est marquant à sa façon, mais pas forcément de la façon où on l’entend habituellement avec Garland.
Là où le film se démarque en premier lieu c’est que c’est un véritable pied de nez (ce qui arrive plus régulièrement en ce moment, que ce soit via Godzilla Minus One ou The Creator) aux superproductions dans lesquelles Hollywood s’est largement embourbée avec des effets spéciaux bancals supposés habiller des films sans âme où l’argent passe dans une immense moulinette qui recrache souvent un rendu qui ne légitime pas les moyens investis. Ici l’argent se voit à l’écran et c’est un véritable plaisir. Les scènes qui illustrent la guerre civile, que ce soit via des armes, des tanks ou des décors à l’aspect post-apocalyptique nous immergent à fond dans ces Etats-Unis ravagés. Cet aspect-là tisse d’emblée en quoi le film participera à être marquant : il semble réel, on est au plus proche de l’action, c’est immersif, presque comme dans un documentaire. On y croit. C’est devenu tellement rare dans de telles propositions. Le premier aspect du pari est gagné haut la main. Le fait d’avoir voulu miser sur des protagonistes de terrain, à savoir un groupe de journalistes, pour arpenter les territoires minés de cette guerre civile était ainsi une super idée. Via leurs photos ou leur course effrénée on a viscéralement l’impression de les accompagner et d’être au cœur des affrontements. L’ambiance distillée les ancre alors, à l’instar de ce que fait Garland d’habitude, dans quelque chose d’assez intimiste et proche de ses personnages, tiraillés entre une course à l’adrénaline presque irrationnelle et la réalité de leur univers qui s’effondre tout autour d’eux. Malgré les vastes terrains qu’ils arpentent et le fait que les petites fourmis qu’ils sont essayent d’accomplir quelque chose d’important, on reste toujours à leur hauteur de femmes et d’hommes rongés par la peur et aussi vulnérables que n’importe quel péquin croisé le long de la route. A contrario des films habituels de Garland il n’y a par contre pas d’apogée particulièrement malsaine qui pourrait créer une fronde comme a pu le susciter son Men (même si un passage avec notre cher Jesse Plemons se démarque du lot).

Le ton de Civil War est parfois toutefois assez dur à cerner, oscillant entre une ambiance feel good (en dépit du contexte) et des moments violents qui sont selon le mood voulu par Garland traités avec plus ou moins de dureté. Il y a d’ailleurs souvent des sortes « d’interludes » musicaux plutôt chill et sereins souvent rompus soudainement par des scènes de tirs assourdissants ou d’avions rafales. Le casting qui a la lourde charge d’évoluer au milieu de tout ça est bien équilibré puisqu’on y retrouve Kirsten Dunst en journaliste aguerrie, Wagner Moura en tête brûlée, Cailee Spaeny (qu’on a récemment découvert dans la génialissime et magnifique Mare of Eastown), Stephen McKinley Henderson (un habitué de Garland qui on ne va pas se le cacher joue souvent un peu le même rôle que ce soit chez lui ou chez les autres) ou encore Nick Offerman qu’on n’a pas l’habitude de voir rasé d’aussi près.

C’est donc plongés au cœur d’une violence brute et immersive qui sonne vraie que nous avons traversé ce Civil War. Un long métrage où chaque dollar dépensé se voit à l’écran et qui met au pilori bon nombre de grosses productions malades qui a contrario gaspillent chaque année des millions de dollars après être passées dans le grand circuit d’incompétence de studios à côté de la plaque et déconnectés de la réalité qui n’ont rien compris aux attentes des spectateurs. A l’aube des élections présidentielles américaines le film prend une image métaphorique particulière via son affrontement entre deux camps, d’autant plus que la réalité est de plus en plus violente y compris dans les discours et agissements de certains responsables américains. Qu’il s’agisse ou non de la métaphore d’une crainte réelle exprimée, Civil War propose un road trip coup de poing généreux et efficace avec des images bien loin de la bouillie de fonds verts qu’on peut trouver ici et là. Seule petite déception de notre côté : la fin, notamment à cause du sort de l’un des personnages qui est vraiment amené de façon plate quitte à lui conférer un aspect un peu niais et candide qui tranche avec la grande traversée à laquelle nous venons d’assister.

Titre original: CIVIL WAR
Réalisé par: Alex Garland
Casting: Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny…
Genre: Action, Thriller
Sortie le: 17 avril 2024
Distribué par : Metropolitan FilmExport
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2020








































































































































