Critiques Cinéma

ROSALIE (Critique)

SYNOPSIS : Rosalie est une jeune femme dans la France de 1870 mais ce n’est pas une jeune femme comme les autres, elle cache un secret : depuis sa naissance, son visage et son corps sont recouverts de poils. De peur d’être rejetée, elle a toujours été obligée de se raser. Jusqu’au jour où Abel, un tenancier de café acculé par les dettes, l’épouse pour sa dot sans savoir son secret. Mais Rosalie veut être regardée comme une femme, malgré sa différence qu’elle ne veut plus cacher. En laissant pousser sa barbe, elle va enfin se libérer. Elle veut qu’Abel l’aime comme elle est, alors que les autres vont vouloir la réduire à un monstre. Abel sera-t-il capable de l’aimer ? Survivra-t-elle à la cruauté des autres ?

La réalisatrice, Stéphanie Di Giusto ne veut surtout pas que l’on puisse imaginer que Rosalie serait un biopic sur l’histoire véritable de Clémentine Delait. Non, l’emprunt de ce destin est en fait comme un prétexte pour une histoire bien plus universelle :  être soi. Nadia Tereszkiewicz, ici la muse de sa cinéaste, avait déjà joué dans le premier film de Stéphanie Di Giusto, La danseuse, en 2015. Quand la réalisatrice a commencé à voir son actrice évoluer avec cette barbe, elle parlera alors « d’une seconde peau, d’une évidence charnelle« . Tout le but pour l’interprète est alors de jouer précisément en oubliant la barbe. Et ce malgré les 4 heures de préparation chaque matin pour ce qui n’est pas un simple postiche, mais la technique du poil à poil.

Dès les premières minutes de Rosalie, on pressent une tension émotionnelle très puissante entre Rosalie et Abel, comme un destin qui va irrémédiablement les sceller. Elle toute en introspection, lui faussement bourru, c’est la rencontre tout à la fois de deux vérités et deux mystères. Et c’est finalement assez rapidement que le voile va se lever sur l’hirsutisme de Rosalie. Plus elle va en montrer, plus elle va s’ouvrir au monde. Précisément au début sans sa barbe, elle semblera comme engoncée, enfermée dans une identité qui n’est pas la sienne. Une fois la barbe assumée, c’est comme une liberté retrouvée, tout change tant elle paraît forte avec sa barbe en identité. C’est faire de sa honte une fierté, d’un secret une affirmation. La résonance sur l’enfermement dans un corps est immédiatement évidente. « On est tous des cas à part  » dira la bonne sœur à un moment. C’est ici que Rosalie est particulièrement puissant dans son adresse au monde. Ce n’est pas un film de plus sur l’altérité, c’est de l’altérité vivante. La barbe sur la douceur du menton féminin de Rosalie en est comme la preuve par l’image. Le spectateur doute, fera œuvre à minima de scepticisme et puis, et puis… finira par trouver Rosalie rayonnante, belle et même sublime, car en fait elle devient elle-même. Le message du film se pose dans cette difficulté d’être à soi, et quoi de mieux finalement que de pousser cette complexité avec l’histoire de cette femme à Barbe en 1870, à l’épreuve des pires intolérances.

Rosalie plus belle avec sa barbe, c’est peut-être, sans trop en dire ici ce qui va traverser Abel en même temps que le spectateur. On touche par ailleurs à une forme d’absolu dans l’intensité d’un sentiment amoureux, tant Rosalie et Abel, malgré les traumatismes, les injures et les dangers, vont ne faire qu’un, jusqu’à la possible perte. Car oui le terrain sera fatalement miné tant on pourrait presque devant Rosalie se rappeler parfois Dogville (2003) de Lars Von Trier, dans cette fascination initiale de l’attrait de la nouveauté, la curiosité somme toute assez malsaine de contempler la différence, et où l’on devine l’imminence de terribles drames, car toujours la norme se révolte dans ses médiocrités ordinaires les plus crasses. Et puis, Rosalie, c’est aussi une mise en scène, la lumière un peu brumeuse, la musique enivrante. Et puis la force des sons, ne serait-ce que le bruit d’une godasse sur le gravier, tout est millimétré pour ne jamais nous perdre malgré une apparente torpeur. Cette épure du récit permet un esthétisme de chaque instant, une volupté, qui vient donner beaucoup de vérité à la reconstitution.

Et là où Rosalie vient aussi rencontrer nos émotions, c’est clairement grâce à l’interprétation de Nadia Tereszkiewicz, qui déjà dans Les Amandiers (2022) brillait de son éclat de pierre brute. Ici, c’est encore une autre dimension tant l’actrice donne son âme mais aussi tout son corps à son personnage. Son authenticité est inoubliable et permet de figer Rosalie dans notre réel. L’actrice s’est emparée comme jamais de toute la complexité de son personnage et de la portée universelle du message ainsi délivré. Elle est bouleversante et clairement on s’en rappellera bien longtemps. Elle est évidemment face à du très grand en la présence de Benoit Magimel dans le rôle d’Abel. Il est tout en intériorité dans un naturel qui lui aussi donne une cinglante vérité au récit. Leur duo est magnétique, électrisant. Stephanie Di Giusto a bien fait de les contraindre à ne pas se fréquenter avant le tournage. Au final, Rosalie nous trouble sur des émotions qu’on ne voit pas venir, là où on ne s’y attend pas. C’est aussi la force de ce cinéma-là, nous surprendre et nous élever, pari incontestablement réussi pour Rosalie !

Titre original: ROSALIE

Réalisé par:  Stéphanie Di Giusto

Casting: Nadia Tereszkiewicz, Benoît Magimel, Benjamin Biolay…

Genre: Drame, Historique, Romance

Sortie le: 10 avril 2024

Distribué par : Gaumont Distribution

EXCELLENT

 

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