Critiques Cinéma

SLEEP (Critique)

SYNOPSIS : La vie d’un jeune couple est bouleversée quand le mari devient somnambule et se transforme en quelqu’un d’autre la nuit tombée. Sa femme, submergée par la peur qu’il fasse du mal à leur nouveau-né, ne trouve alors plus le sommeil….

Sleep aura fait grand bruit dès sa toute première diffusion officielle, l’année dernière au sein de La Semaine de Critique au Festival de Cannes. Son chemin l’aura alors guidé vers un passage au Festival de Gérardmer (duquel il est reparti avec les honneurs du Grand Prix) avant d’enfin atterrir dans les salles françaises. Premier long-métrage pour Jason Yu (dont on a pu voir le nom aux génériques de certains films de Bong Joon-ho, pour qui il a été assistant), Sleep mêle avec un équilibre saisissant la fougue, la solidité et l’intelligence de ce que le cinéma coréen moderne sait faire de mieux. Le film raconte le nouveau quotidien de Soo-jin et Hyeon-soo, un jeune couple fraîchement marié. Une nuit, Soo-jin est témoin d’une crise de somnambulisme de son mari, que le couple prend d’abord à la rigolade le jour venu. Mais au fil des nuits, les crises de Hyeon-soo deviennent de plus en plus étranges et inarrêtables, construisant un climat paranoïaque qui va mener Soo-jin à tenter toutes les interventions possibles pour faire revenir le calme dans l’appartement…


De sa structure composée en 3 actes distincts (décomposés par des cartons qui dictent le rythme) et de l’unicité de son décor qui enferme les personnages comme le spectateur dans une unité d’espace nocturne duquel ils ne peuvent (et ne veulent) pas sortir, Sleep évoque d’abord les contours de la pièce de théâtre moderne, ses peu nombreux personnages servant de substance au scénario redoutable de Yu. Il y distille alors une atmosphère fascinante, à mi-chemin entre le réalisme anxiogène et l’épouvante dévorante, conjuguant un vrai goût de l’inattendu et de la virtuosité subtile de sa mise en scène. Pour sa première réalisation, Jason Yu propose une œuvre extrêmement solide, naturellement convaincante par son capital sympathie évident et par le talent indéniable d’une narration menée avec brio et qui redouble d’inventivité pour prendre le spectateur au dépourvu.


Car Sleep est affaire de point de vue, séparant petit à petit ses deux personnages – d’abord montrés comme extrêmement fusionnels pour ensuite immiscer cette sombre histoire de marche nocturne au sein de leur équilibre. Le scénario de Yu dessine une radiographie d’un couple de jeunes mariés, attaqués personnellement par un évènement inexplicable et de plus en plus toxique qui met en branle leurs plans de vie et leurs sentiments. En appuyant le réalisme par un savant dosage de l’humour (l’une des plus grandes forces du cinéma sud-coréen, à n’en pas douter) qui sait parfaitement où se poser pour ne pas parasiter l’intrigue principale, Sleep s’affirme dans ses embouchures comme un impeccable mélange de style, pas si loin de Bong Joon-ho mais suffisamment unique pour devenir avec force la marque d’un grand potentiel de metteur en scène, où le réalisateur questionne la perspective et le rapport à la réalité de ses protagonistes. En intégrant dans sa dernière partie ses aspects et théories surnaturelles, le film achève de boucler sa boucle avec intelligence et impact, se fermant sur une conclusion ouverte pour celles et ceux qui daigneront chercher la réponse à toute cette histoire par eux-mêmes.


Porté par un brillant duo de comédiens qui se reposent l’un sur l’autre pour mieux parvenir à faire progressivement dissocier leurs jeux (Jung Yu-mi est saisissante et un brin terrifiante dans le rôle de cette femme en quête d’équilibre qui s’accapare toute la charge mentale de la situation, et le regretté Lee Sun-kyun trouve le support parfait pour faire parler un talent multi-facettes qui se pose peu de limites de ton), Sleep signe une première pierre particulièrement prometteuse pour la suite de la carrière de Jason Yu, d’ores et déjà un cinéaste à l’œil malin et à l’écriture extrêmement bien ficelée, posant avec son film une œuvre angoissante, limpide et extrêmement plaisante. Habillé par la musique oppressante de Chang Hyuk-jin et Chang Yong-jin, Sleep est un cauchemar accessible et déroutant, une aventure nocturne qui tourne à L’Exorciste avec une conscience de soi réjouissante et un découpage précis qui frappe juste à chaque passage majeur. Bref, Jason Yu signe l’exact genre de conte social horrifique qu’on veut voir aujourd’hui, qui parvient à être efficace, agréable, drôle et prenant tout en distillant la peur dans le sous-texte et dans une mise en scène qui évite consciencieusement et avec beaucoup d’humilité de se vautrer dans le tapageur.

Titre original:  JAM

Réalisé par:  Jason Yu

Casting: Yu-mi Jeong, Sun-kyun Lee, Kim Kum-Soon…

Genre: Epouvante-Horreur, Thriller

Sortie le: 21 février 2024

Distribué par : The Jokers / Les Bookmakers

EXCELLENT

 

 

 

 

 

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