Critiques Cinéma

UN SILENCE (Critique)


SYNOPSIS : Silencieuse depuis 25 ans, Astrid la femme d’un célèbre avocat voit son équilibre familial s’effondrer lorsque ses enfants se mettent en quête de justice.

Joachim Lafosse s’est dit véritablement « happé » par le fait divers qu’il nous raconte ici. On avait déjà tellement apprécié sa capacité immersive à faire vivre les émotions de l’intime face caméra avec le bouleversant Les intranquilles (2021). Il est ici peu aisé d’écrire sur Un silence sans justement prendre le risque de le déflorer, et c’est un peu tout l’enjeu et aussi le problème du film. C’est bien l’aspect formel qui ici complexifie grandement l’ensemble. Le part pris du cinéaste est de nous laisser dans une forme d’obscurité pendant au moins la première demi-heure et clairement sur toute cette durée, il faut s’accrocher. Si par la suite le décollage est intéressant voire particulièrement prenant à l’approche du dénouement, il demeure bien tardif. Le film sidère dans sa deuxième partie, notamment par ce que l’on comprend du silence de toute la maison, car tout le monde sait, mais la maison est comme isolée du monde, car rien ne va filtrer pendant des années sur l’extérieur. La loi n’entre pas dans ce foyer. Alors la question du silence amène celle de la complexité et donc de la responsabilité. C’est aussi presque parfois comme un affrontement générationnel dans les interactions familiales qui se jouent et se nouent dans ce qui est finalement un huis clos très inquiétant et malsain. La mise en scène en est l’évident reflet dans une remarquable sobriété, presque une distance, un éloignement du monde savamment travaillé.


Le silence c’est d’abord et avant tout celui d’Astrid, mais qui finalement n’est jamais jugée, juste on l’accompagne, c’est une des grandes forces du film. C’est toute la puissance de la honte en matière de criminalité sexuelle qui va pousser le personnage joué par Emmanuelle Devos à assumer ce terrible et assourdissant silence. Alors, c’est aussi toute sa détresse affective qui va progressivement se révéler devant nous. Elle ne peut plus réellement aimer cet homme-là, qui devient par ailleurs de plus en plus cynique. C’est assez poignant d’assister à ce qui s’apparente à un écartèlement affectif d’Astrid. Elle est muselée, et parfois même mutilée dans cet effroyable sceau du secret. Elle ne sait plus à qui et comment offrir son amour, et ce portrait de femme brisée est saisissant.


Sauf que Un silence est aussi une grande entreprise de frustration ou alors une stratégie commerciale huilée, car on aurait presque envie de le revoir pour s’en saisir pleinement. Car trop d’ellipses tue l’ellipse et transforme toute la première partie du film en éclipse et il est dur par la suite de revoir le jour. La dimension quasi politique est également assez prégnante dans Un silence, car le long métrage nous dit finalement que le pire, l’innommable, ce n’est pas toujours chez les autres, ou dans une forêt à l’abri des regards, mais bel et bien au cœur parfois de nos maisons. Tant de maudits secrets gardés qui brisent d’entiers destins. Emmanuelle Devos défend son personnage d’Astrid avec toute la force qu’on lui connaît. Il aura d’ailleurs fallu une deuxième écriture pour que six mois après la première proposition, elle accepte d’y jouer. Et comme d’habitude avec elle, la fabuleuse magie de l’authenticité opère. C’est comme si pour l’actrice, elle avait en ancrage le sens de l’autre. Elle est magnétique de talent. Elle fait par ailleurs le lien avec son personnage dans L’Adversaire (2002) où la femme qu’elle interprétait ne voyait rien des mensonges de son mari, cette fois-ci, elle sait, mais elle se tait, et toujours face à Daniel Auteuil. Et donc le grand Monsieur Auteuil, qui fait pleinement vivre ce que peut être un parfait salaud. Avec tout ce qu’il faut d’une fausse culpabilité dégoulinante d’une feinte empathie, pour sombrer dans un cynisme qui pourrait nous donner des pulsions d’agressivité à son endroit.

A noter la première apparition au cinéma de Jeanne Cherhal, toute en sincère empathie elle, malgré l’autorité de son mandat de policière, ce qui donne une belle dimension à son personnage. Faire face comme c’est le cas de quasi toutes ses scènes à Emmanuelle Devos pour apprendre le métier, est une opportunité unique. On saluera enfin la prestation de Matthieu Galoux dans le rôle du fils Raphaël, qui dans notamment toute la seconde moitié du film, nous contamine de sa colère et livre une composition omniprésente de vérité. Au final, Un silence aborde un sujet trop rare au cinéma, par le biais de la très touchante sensibilité de son réalisateur Joachim Lafosse, mais qui ne peut soutenir la comparaison dans cette déliquescence d’un couple avec Anatomie d’une chute (2023). Car si tout le monde ne peut pas avoir la palme d’or, la radicalité du choix initial de ce mystère très long ne permet pas une pleine adhésion au récit, ce qui est regrettable tant le propos demeure fort et pouvait nourrir ce qui aurait pu et dû, être un grand film.


Titre Original: UN SILENCE

Réalisé par : Joachim Lafosse

Casting : Daniel Auteuil, Emmanuelle Devos, Jeanne Cherhal …

Genre: Drame

Sortie le : 10 janvier 2024

Distribué par: Les Films du Losange

BIEN

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