Critiques Cinéma

HELLPHONE (Critique)

SYNOPSIS : Skater fan d’AC/DC, en terminale dans un lycée parisien, Sid rêve d’un téléphone portable. Avec lui, il pourra séduire Angie, sublime jeune fille fraîchement débarquée de New York, pendue pour l’instant au bras de Virgile, le playboy de l’école. Mais le téléphone que Sid achète dans cet étrange bazar chinois se révèle avoir d’étranges pouvoirs… Hellphone a choisi Sid. L’amitié avec Pierre, son ami d’enfance, et l’amour pour Angie sauront-ils résister à la relation passionnelle entre Sid et son téléphone ? 

Un téléphone rouge vif au look de tête de diable qui exauce les vœux de son propriétaire tout en propageant le chaos et la mort autour de lui ? Pourquoi rire comme une otarie bourrée face à un argument scénaristique de ce genre ? A bien y réfléchir, ça n’est pas plus anormal qu’une horde de jouets rendus incontrôlables par des puces électroniques (Small Soldiers) ou un masque vert qui transfigure Jim Carrey en personnage de cartoon (The Mask). Et vu que la couleur rouge est à l’honneur, les inconditionnels du cinéma de John Carpenter gagneraient à ne pas trop se la jouer cynique du dimanche et à se rappeler un tant soit peu de Christine… Ces quelques considérations mises à part, il convient de ressortir à nouveau du placard nos habits de docteur cinéphile, histoire de panser les dernières plaies d’un film trop sous-estimé qui, en dépit d’une sacrée surcharge de folie et d’inventivité à revendre, s’est mangé un bon gros bide au box-office hexagonal à sa sortie en 2007. Toujours ce vilain effet Kiss Cool qui veut que l’originalité et la singularité finissent par atterrir fissa dans les abîmes de l’oubli (quand ce ne sont pas celles de la moquerie), y compris lorsqu’un réalisateur réellement cinéphile et inspiré ose une proposition de cinéma à rebours des canons d’une production hexagonale à fond dans la paresse. Ovni insensé et jubilatoire au premier plan, œuvre riche et sensée à l’arrière-plan, Hellphone ne coche jamais les cases de l’anomalie qui déroute et qui prend à revers. Il renvoie simplement à un ton corrosif qui peine à être celui de notre conception générale de la comédie, à une âme de sale gosse que d’aucuns préfèreront toujours qualifier d’immature, à un cinéma qui carbure au style pour en mettre plein la vue sur 90 minutes pleines à craquer.


Ceux qui connaissent un tant soit peu la filmographie de James Huth savent pertinemment que la réelle sensibilité artistique du bonhomme n’était qu’épisodique dans le délirant Brice de Nice, et que c’est au contraire dans son fabuleux coup d’essai (le monstrueux Serial Lover avec Michèle Laroque et Albert Dupontel) qu’il faut dénicher en lui une certaine aura de cousin hexagonal de Joe Dante. Une aura certes aujourd’hui réduite à néant si l’on en juge par cette enfilade de comédies prime-time ni drôles ni inspirées qu’il nous aura récemment infligé, mais qui n’abîme en rien notre amour pour Hellphone. Gageons que si le réalisateur de Gremlins avait dû mettre en scène ce récit loufoque et déjanté, le résultat n’aura pas tant varié que ça. D’autant que sous couvert d’un humour cruel et cartoonesque qui irrigue chaque scène, Huth met un point d’honneur à revisiter les canons du teen-movie afin de creuser des thèmes on ne peut plus universels. Le règne du paraître, les rites du passage à l’âge adulte, la démystification du statut parental, les affres de l’initiation amoureuse, les effets pervers de l’effet de groupe, la pression sociale, l’emprise de la technologie sur les générations d’aujourd’hui… Tout est ici abordé par le biais du mixage de genres volontairement antagonistes, avec cette idée – très proche de la démarche originelle de Joe Dante – que l’horreur serait le relais direct de l’humour, et inversement.



Que ce projet ait été pour Huth une « solution de secours » suite à l’arrêt brutal de son projet d’adaptation de Blake & Mortimer est un indice qui permet d’expliquer en grande partie la nature du résultat final. On sent ici chez le réalisateur, alors contraint par ses producteurs de persister dans la comédie suite au carton de Brice de Nice, des envies de vengeance. Ou tout du moins le désir de se couler dans le moule qu’on lui impose pour mieux le parasiter de l’intérieur, en chatouillant les deux extrêmes (le rire et l’horreur) afin de trouver le point de rupture. Cela étant dit, prudence sur le fond. Faire d’un téléphone portable le vecteur d’un monstrueux saccage des comportements humains dans un lycée n’est pas pour lui un moyen de théoriser sous un angle réac l’explosion nocive de la place du smartphone dans les établissements scolaires. Huth ne juge rien, ne condamne rien, mais cherche bel et bien à s’amuser de tout. Ce pitch de lycéen timide et amoureux de la star du bahut ressemble certes à s’y méprendre à un enjeu bêta de sitcom AB javélisée, et c’est justement en le traitant au premier degré – tout en redessinant ce qui l’entoure des couleurs du cartoon – que le réalisateur vise juste. L’univers de Hellphone est comme un contemporain que l’on aurait repassé à la gouache vive, et que de savants effets de courte focale et de décadrages contribueraient à tordre davantage. Tel un savant fou qui essaierait tout dans son laboratoire, Huth gère son découpage ultra-speed en changeant de cadre et/ou de tonalité en fonction de l’effet recherché par telle ou telle scène (un parti pris kamikaze que seuls les cinéastes coréens maîtrisent à la perfection), créant ainsi de vraies montagnes russes narratives qui font passer son spectateur par tous les états possibles.


Quand bien même ils sont joués par des acteurs qui assument leur son pour le surjeu et l’outrance (en particulier Judith Chemla et Anaïs Demoustier qui trouvaient ici leurs premiers rôles), les personnages de Hellphone esquivent le piège de la caricature en appliquant à leur jeu un effet baroque équivalent à celui qui imprègne la mise en scène de Huth. Comme piégés dans un espace intemporel qui donne à chaque flambée de violence le relief d’un gag vénère des Looney Tunes (et vice versa), ils s’en donnent à cœur joie dans l’excès, le pantomime cintrée, voire carrément le morphing facial lorsque la Grande Faucheuse s’acharne sur eux. Retrouver le jeune casse-tympans des Choristes est même un gros avantage : contre toute attente, Jean-Baptiste Meunier gère ici en beauté sa mue d’acteur à force de crédibiliser à lui seul les phases-clés d’une adolescence qui se cherche et même de casser son image de minet chanteur au détour d’une ligne de dialogue. La folie maximale des seconds rôles (dont un Bruno Salomone drôle à se rouler en nem sur la moquette !), le petit caméo rigolo d’un certain Brice Agostini (oui, vous avez compris…) et l’intégration dans la diégèse narrative du Dead End de Jean-Baptiste Andrea & Fabrice Canépa (un excellent film d’horreur produit par Huth) participent de leur côté à un solide mixage cinéphile qui sert le scénario et enrichit l’univers au lieu de les encombrer. Le long climax final, véritable enfilade de cadavres traitée sur un mode over-cartoonesque, renoue de plein fouet avec l’esprit irrévérencieux de Joe Dante, achevant ainsi en apothéose ce rollercoaster « horrificomique ». Jouer la sécurité en se la jouant modéré ou prendre le risque payant d’en faire trop par pure générosité envers son audience ? James Huth a choisi la seconde option, et il a eu raison : c’était vraiment d’enfer.

Titre original: HELLPHONE

Réalisé par:  James Huth

Casting: Jean-Baptiste Maunier, Jennifer Decker, Benjamin Jungers…

Genre: Comédie, Fantastique

Sortie le: 28 Mars 2007

Distribué par : StudioCanal

EXCELLENT

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