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Dans les années trente, des coups de feu retentissent un soir dans Dogville, une petite ville des Rocheuses. Grace, une belle femme terrifiée, monte en courant un chemin de montagne où elle fait la rencontre de Tom, un jeune habitant de la bourgade. Elle lui explique qu’elle est traquée par des gangsters et que sa vie est en danger. Encouragée par Tom, la population locale consent à la cacher, en échange de quoi Grace accepte de travailler pour elle. Lorsqu’un avis de recherche est lancé contre la jeune femme, les habitants de Dogville s’estiment en droit d’exiger une compensation, vu le risque qu’ils courent à l’abriter. Mais la pauvre Grace garde en elle un secret fatal qui leur fera regretter leur geste… « Ce n’est ni un film scientifique, ni un film historique. C’est un film d’émotion. » C’est par ces mots que le fulgurant et foisonnant réalisateur Danois Lars Von Trier qualifie son huitième film Dogville, qui sera le premier d’une trilogie consacrée aux Etats-Unis.
Dogville, pour lequel Lars Von Trier renoue avec ce thème de la destinée d’une femme sous des tragiques auspices, comme pour Breaking the Waves (1996) ou Dancer in the Dark (2000). Dogville s’inscrit comme un véritable phénomène d’anthropologie miniature de l’humanité, qui est ici sublimée par le radicalisme d’une mise en scène dont l’épure au stade du minimalisme nous concentre uniquement sur l’humanité. L’absence de murs, de maisons en dur, dans un pur style de théâtre filmé à ciel ouvert permet de se focaliser uniquement sur les interactions entre les protagonistes. Ces choix entre cet immense parquet noir, sur lequel sont tracés des traits à la peinture, et une voix off profondément littéraire bien que neutre, de prime abord déstabilisants, s’imposent finalement très vite à nous, finissent par s’ancrer et nous bouleversent sur un mode quasi subliminal. C’est le refus du matérialisme superflu et le retour à l’essentiel. C’est un parti pris qui ne dit jamais son nom, mais qui se déploie et qui se vit. Dans cette juxtaposition des arts, le sobre et lancinant Nisi Dominus de Vivaldi apporte la dernière touche de génie et de grâce à cette œuvre majeure qu’est Dogville. Cette splendeur formelle nourrit un récit passionnant et poétique tout à la fois. Le geste cinématographique ainsi rendu de celui qui tient lui-même sa caméra, s’impose comme un traité sur l’altérité, sur la place que l’on peut prendre auprès des autres et sur finalement l’essence même de la condition humaine : tisser des liens. Avec le risque de s’y perdre, comme une apologie de la pensée Sartrienne de cet enfer que peuvent devenir les autres.

C’est aussi le droit à l’oubli, à la seconde chance et à l’exercice redoutablement complexe du non jugement. Ne pas juger, mais comprendre. « Ce n’est pas un crime de douter de soi « , A cet égard, le chapitre 4 sur les moments heureux à Dogville est un condensé d’humanité, dans cette place que va prendre la bien nommée Grace auprès des habitants. C’est ici comme un véritable cadeau, une leçon de générosité pour le spectateur. Mais c’est surtout la tragédie de l’éphémère. Comme si le bonheur n’était qu’un souffle annonciateur de la pire des apocalypses. Ce qui se jouera dans l’épilogue horrifique sera aussi cruel dans son intensité que les joies précédemment dépliées. Précisément, sans les deviner, l’on pressent les cataclysmes arriver… C’est la puissance du suggestif, cet art si finement intelligent du cinéma unique de Lars Von Trier. Pour en cerner toutes les subtilités, tant Dogville s’appuie sur ces micros détails qui fondent le sel de la vie, il est évidemment indispensable de le voir en VO, ne serait-ce déjà que pour entendre Nicole Kidman dire avec une candeur d’une troublante authenticité : « You’re in love with me ?« . L’espièglerie et la douceur de ce questionnement est à fendre le cœur tant l’actrice semble lâcher prise. Une tension à la hauteur de ce thriller constant qu’est l’amour. Plus tard, Tom lui dira : « Je me languis de toi, même quand tu es là « . Elle lui répondra : « Ce que j’aime en toi, c’est que tu n’exiges rien de moi, on est juste ensemble« . Mais là aussi, le message du cinéaste est glaçant, car le plus pur du sentiment amoureux va se transformer en la pire des trahisons. La démonstration est magistrale sur cette propension horriblement humaine à tout salir, à tout détruire méthodiquement, à ne jamais pouvoir faire vivre le beau. C’est une exacerbation du manichéisme, du sadisme et du pouvoir de la vengeance. C’est l’ignominie à l’état pur et brut.

Ils vont accuser Grace des pires crimes dont eux-mêmes sont coupables. Toujours cette poutre dans l’œil qu’on ne saurait voir. Ou quand la chance existentielle et infinie de la rencontre se mue dans la pire crasse de l’humanité. Comme si le retour aux bas instincts n’était en fait qu’un systématisme. Lars Von Trier pose alors cette vertigineuse question de l’homme loup pour l’homme, qui prendra sa terrible traduction dans la folie furieuse de la fin du film : dérangeante, chaotique et que vous n’oublierez jamais… On n’oubliera jamais non plus la prestation hors normes de Nicole Kidman dans ce rôle de Grace, écrit sur mesure pour elle et personne d’autre par Lars Von Trier. Une extrême authenticité de cette bête traquée, qui passera par tous les états, déployant une palette d’émotions époustouflante autant dans sa variété que sa vérité. Elle est de chaque plan sur les 2h57 de film et notre addiction devient à la hauteur de sa performance : totale !!

Paul Bettany, dans le rôle de Tom, qui lui fait face, nous étreint de sa torture mentale constante. On place un certain nombre d’espoirs en lui, mais il ne sera surtout finalement qu’un homme !!! L’acteur le sait et nous communique ainsi son urgence. Le reste du casting est largement aussi engagé, avec rien de moins dans des « petits rôles » de délirantes surprises, comme Jean-Marc Barr, et juste… Lauren Bacall !!! Si quelqu’un vous conseille ce film, c’est forcément qu’il vous veut du bien car pour finalement résumer Dogville, deux mots suffisent : chef-d’œuvre !!
Titre Original: DOGVILLE
Réalisé par: Lars Von Trier
Casting : Nicole Kidman, Paul Bettany, Patricia Clarkson …
Genre: Thriller, Drame
Sortie le : 12 Juillet 2023
Distribué par: Les Films du Losange
CHEF-D’ŒUVRE
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2000








































































































































