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SYNOPSIS : Deux magistrats de la Cour Suprême sont assassinés sans que ni la CIA ni le FBI n’en trouvent la raison. Lancée sur l’enquête par son professeur de Droit, Darby Shaw réunit sur ce qu’elle baptise « L’affaire Pélican » un dossier explosif. Tandis que le journaliste Grantham enquête en parallèle, la Maison Blanche semble fort embarrassée par le dossier Pélican.
Au début, tout a l’air sacrément compliqué. Mais on ne s’affole pas. On s’y attendait. On était déjà au parfum. Parce qu’au fond, L’Affaire Pélican est typiquement le genre de film où l’on sait à l’avance qu’il va nous falloir scruter chaque scène avec un œil de lynx, déceler derrière chaque apparition ou mouvement sur l’arrière-plan une potentielle menace, guetter un indice potentiel derrière chaque sous-entendu et chaque non-dit dans chaque ligne de dialogue, bref faire travailler notre paranoïa interne dans le but de façonner une vérité tangible dans un fond d’une opacité redoutable. Le thriller d’espionnage à teneur paranoïaque ayant fait les beaux jours du cinéma américain des années 70, il est toujours très agréable de l’avoir vu traverser les décennies sans perdre ne serait-ce qu’un gramme de sa fibre. D’autant que le simple fait de savoir l’actualité contemporaine de plus en plus soumise à la lecture complotiste prive ce genre codifié de la moindre date de péremption. Voilà pour le premier point. Le second point vient du statut même de ce film, à savoir la seconde adaptation d’un livre de John Grisham après La Firme (sorti à peine quelques mois avant), et qui vaut ainsi au célèbre écrivain américain (et ex-avocat pour la petite histoire) de faire son entrée dans le 7ème Art avec ni plus ni moins que les deux figures tutélaires du genre précité en guise de promoteurs. D’un côté, un Sydney Pollack qui aura toujours mis un point d’honneur à traiter le genre avec respect et dignité, des Trois jours du Condor jusqu’au mésestimé L’interprète. De l’autre, un Alan J. Pakula qui s’est avéré bien plus fortiche dans cet exercice-là, amplifiant le genre par des audaces de mise en scène réellement impressionnantes – revoyez Klute ou A cause d’un assassinat pour en prendre le pouls.

S’il n’a pas laissé de trace marquante dans l’Histoire du cinéma, le traitement de L’Affaire Pélican par ce dernier aura au moins su faire montre d’une virtuosité narrative et scénographique qui, en l’état, suffisait à faire loi. C’est que, contrairement à d’autres, Pakula réussit autant à ne pas nous mâcher le travail qu’à nous éviter de finir totalement largué devant la complexité quasi tentaculaire d’un tel dossier. Une fois le point de départ exhibé (l’assassinat de deux hauts magistrats par un tueur professionnel joué par Stanley Tucci) et le premier stade d’inquiétude amorcé (une jeune étudiante en droit assiste à l’assassinat de son professeur et amant après avoir percé le fond caché de cette affaire), cette matière propre au film-enquête ne cesse d’être densifiée, laissant les pièces du puzzle s’imbriquer tant bien que mal tandis que l’intrigue n’en finit pas d’alterner les points de vue à relier. Quant aux deux protagonistes au centre de l’affiche (l’étudiante en droit et un journaliste chevronné), ils se font bien sûr l’incarnation de la résistance de l’individu épris de justice face à un système corrompu et criminel. Sur ce point précis, entendre ici et là quelques allusions discrètes mais bien senties au scandale du Watergate a le chic pour rendre limpides les intentions d’un cinéaste qui fut quand même à l’origine d’un film aussi marquant que Les Hommes du Président. Et au final, c’est bel et bien au génie – surtout atmosphérique – de Pakula que L’Affaire Pélican doit sa faculté à prendre un très bel envol sur plus de deux heures sans bout de gras susceptible de l’alourdir.

Dès le premier quart d’heure, la seule mise en scène des deux meurtres inauguraux a valeur de manifeste de mise en scène : aucun dialogue, aucun effet de style gratuit au sein du découpage, rien que de savants rituels, millimétrés au plus haut degré et cadrés à chaque fois dans une semi-pénombre avec un effet de longue focale qui tend souvent à épouser le point de vue subjectif d’une menace omnisciente. De bout en bout, la façon qu’ont les personnages de se mouvoir dans des espaces trop vastes et élargis pour ne pas devenir suspects (quoi de plus flippant qu’un long couloir désert ?) est en soi suffisante pour entretenir le suspense, et la moindre silhouette entraperçue alimente d’autant plus la paranoïa que le méchant à la tête de ce gigantesque complot appartient ici au registre du hors-champ (contrairement au roman, on ne le verra ni ne le rencontrera jamais). Même l’explication centrale de la nature du fameux « dossier Pélican », mêlant des enjeux écologiques aux agissements louches d’un mystérieux magnat du pétrole lié à la Maison-Blanche, suscite le vertige alors même que les mots employés ont parfois tendance à le rendre un tantinet nébuleux – un ou deux visionnages de plus peuvent s’avérer nécessaires pour tout recouper de A à Z. Tout le reste, d’une tension jubilatoire alimentée par le biais des objets du quotidien (une porte vitrée, un seau de pop-corn, un coup de téléphone, une clé de contact…) jusqu’à une musique élégante de James Horner (lequel recourt dès le splendide générique d’ouverture à des échos sonores évoquant des cris d’oiseaux), est la cerise qui parachève en beauté ce très consistant gâteau de paranoïa.

Au final, qu’importe s’il apparaît peu crédible que les deux héros, a priori pas spécialement rodés à la survie improvisée tandis que les cadavres tombent comme des mouches autour d’eux, s’en tirent toujours sains et saufs. Il est déjà tout à fait heureux que Pakula ait pris soin d’esquiver les poncifs hollywoodiens tels qu’ils ont tendance à être plaqués sans raison sur le moindre scénario en vogue – preuve en est qu’ici, par exemple, l’enquête n’évolue jamais vers une quelconque ébauche de romance qui, en tant que telle, aurait frisé le hors sujet. Et surtout, en comptant sur une Julia Roberts alors en pleine rédemption artistique après plusieurs revers au box-office et un Denzel Washington de plus en plus irréprochable d’un film à l’autre, le cinéaste ne pouvait pas trouver meilleurs soutiens pour ficeler son affaire avec classe. On vit cette fascinante intrigue à tiroirs avec leurs yeux à eux tout en sachant pertinemment qu’ils se trouvent – et nous aussi – entre les mains d’un maître. Et de ce fait, on sort de là parfaitement convaincu par les arguments proposés. Peut-être qu’au fond, John Grisham n’a jamais été aussi bien servi par le 7ème Art qu’ici.
Titre original: THE PELICAN BRIEF
Réalisé par: Alan J. Pakula
Casting: Julia Roberts, Denzel Washington, Sam Shepard…
Genre: Thriller, Drame
Sortie le: 16 mars 1994
Distribué par : Warner Bros. France
EXCELLENT
Catégories :Critiques Cinéma, Les années 90








































































































































