L’ENFANT DU PARADIS (Critique)

Par William François le décembre 6, 2023 • ( Poster un commentaire )

SYNOPSIS : Après une traversée du désert dans sa carrière de comédien, Yazid voit enfin se profiler le bout du tunnel. Sobre depuis six mois, il veut montrer à sa nouvelle fiancée et à Hassan, son fils de 16 ans, qu’il est maintenant un autre homme qui a repris goût à la vie. Mais en quelques jours, les vieux démons resurgissent et avec eux les souvenirs de son enfance en Algérie.

Premier long-métrage réalisé par le comédien Salim Kechiouche (vu notamment chez Gaël Morel, François Ozon et Abdellatif Kechiche), L’Enfant du Paradis est un démarrage à l’énergie brute et au rythme condensé, 1h13 de dégringolade progressive enveloppée de touchant et de réalisme à l’intérieur de la peau d’un acteur quarantenaire aux prises avec ses démons du passé, librement inspiré de la vie de son ami comédien Yasmine Belmadi. Le film raconte le quotidien de Yazid, sortant d’une période de creux, et qui réémerge lorsqu’il rencontre Garance, sa nouvelle copine, avec qui il envisage de se marier d’ici peu. Entre son nouveau job sur un film, la garde alternée de son fils de 16 ans, la relation compliquée qu’il entretient avec son ex, et les retrouvailles avec sa sœur, la vie de Yazid prend un tournant inattendu et tragique lorsque les évènements se retournent contre lui.

Dans l’exercice de sa première mise en scène, Kechiouche opte pour un réalisme sans aucune fioriture, trouvant chez le style Kechiche la structure de sa chapelle, en se plongeant à l’intérieur de son personnage principal. Yazid, dans ce qui le compose, dans ce qu’il évoque et dans ce qu’il garde dans ses zones d’ombre, est un protagoniste épais et complexe, très justement incarné par Kechiouche qui dégage à la fois une sympathie et un détachement de la réalité qui le rend particulièrement juste et très tangible. Il est surtout contrebalancé par les personnages qui l’entourent – à commencer par l’attachante Garance (épatante Nora Arnezeder), campant le nouveau repère de Yazid et tout ce à quoi il aspire. On y retrouve aussi Pascalle Arbillot et Zinédine Soualem dans la peau des parents de Yazid, et Naidra Ayadi incarnant la mère de son fils.

Habité par un désir enflammé de faire ses preuves et de réussir quelque chose par son existence, le parcours de Yazid par les contours de cette première expérience de mise en scène pour Salim Kechiouche se dessine étonnant et expéditif, signant un long-métrage pas si anecdotique dans la portée du propos et dans ses symboliques omniprésentes. Optant pour une approche scénique qui mixe le réaliste brut et la poésie de chaque instant, L’Enfant du Paradis trouve ses réussites dans la justesse de son ton et dans ses bascules successives qui se donnent des accents tragiques là où certains se plairaient à y voir de la fatalité. Kechiouche réussit son essai avec subtilité et émotion éclair, décrivant une parenthèse de vie fondatrice sur un monde qui s’écroule petit à petit autour de son « héros « moderne, une âme meurtrie au passé trouble qui tente de se reconstruire au milieu des ruines.

La photographie du film, signée Jérémie Attard, fait de ses ruines des figures symboliques en optant pour une caméra proche des visages et des corps, serré sur ses personnages pour qu’ils n’échappent pas à la situation, jusqu’à cette fermeture brutale qui secoue son petit monde. Chargé d’une histoire invisible qui s’étend sur cette tentative de rédemption, L’Enfant du Paradis est une jolie surprise au rythme lancinant et à l’énergie singulière qui découpe, au milieu des plateaux de tournage, des demandes en mariage, des relations familiales et des fêtes parisiennes, une chronique simple et dénuée de spectaculaire qui livre à la fois la descente aux Enfers et la montée au Paradis de son protagoniste avec le sérieux, la justesse et le tragique des premiers films maîtrisés.