RIEN A PERDRE (Critique)

Par William François le novembre 21, 2023 • ( Poster un commentaire )

SYNOPSIS : Sylvie vit à Brest avec ses deux enfants, Sofiane et Jean-Jacques. Une nuit, Sofiane se blesse alors qu’il est seul dans l’appartement. Les services sociaux sont alertés et placent l’enfant en foyer, le temps de mener une enquête. Persuadée d’être victime d’une erreur judiciaire, Sylvie se lance dans un combat pour récupérer son fils.

Premier long-métrage de fiction pour sa réalisatrice Delphine Deloget, jusque-là habituée du film documentaire, Rien à Perdre convoque les images récurrentes du cinéma social français, de sa chronique familiale aux inflexions des autorités administratives, avec la brillante Virginie Efira en tête d’affiche. Mais malgré ses faux airs de redite, dans son ambition intimiste et étouffante, dans la force sensationnelle de sa mise en scène et dans la performance éclatante de son casting, Rien à Perdre s’avère être une réussite bouleversante à tous les niveaux, premiers pas d’une metteuse en scène à suivre urgemment. Le film suit Sylvie Paugam, une mère de famille brestoise, célibataire, jonglant avec son job de barista de nuit et la garde de ses deux fils, Jean-Jacques et Sofiane. Une nuit, alors qu’elle est au travail, le jeune Sofiane, seul à la maison, tente de se faire des frites, mais se brûle accidentellement la peau du ventre. Peu de temps après, la famille reçoit la visite d’une assistante sociale qui ne va pas tarder à remettre le garçon aux services de l’Aide Sociale à l’Enfance. Sylvie, incapable de rester sans rien faire après qu’on lui ait enlevé son fils, décide de se battre pour récupérer la garde de Sofiane…

Par le prisme de sa mise en scène, captant de l’intérieur les dynamiques qui meuvent cette petite famille, faisant autant voir les moments de complicité que les crises de colère et les divergences d’opinion – Sofiane semble être atteint d’un trouble du comportement, Jean-Jacques aimerait partir suivre ses rêves, Sylvie tente de garder sa famille sous le même toit malgré le monde qui s’effondre autour d’eux – Delphine Deloget déploie une force saisissante dans l’ambition de son film, qui réussit à être aussi prenant et attachant que déchirant et exaspérant. Rien à Perdre se fixe sur cette confrontation, celle qui naît d’un biais de perception et qui puise sa toute-puissance dans les règles établies par l’administration française et qui arrache des enfants à leurs familles sans faire véritablement attention aux circonstances et au cas-par-cas. Par cette intrigue qui dévoile les failles de ses institutions, pourtant basées sur de bonnes intentions – dans ce cas, la protection de l’enfant passe avant le reste – et en se focalisant sur Sylvie et sa spirale infernale qui la broie de plus en plus dans une machine judiciaire inflexible, Deloget tire de cette histoire un sommet d’émotions, une boule de stress et de traumas bombardés d’amour et de déchirements. La façon dont la réalisatrice filme en premier lieu le quotidien de ses personnages, leurs rapports passionnés empreints d’amour et d’entraide, et l’aspect très solidaire de leur communauté amicale et familiale, entreprend de saisir un rapport frontal au social, assurément réaliste et recouvert de sentiments savamment distillés. Lorsque le drame vient s’inviter à la porte de Sylvie pour retirer Sofiane de l’équation, et que sa vie commence à dérailler et à partir à vau-l’eau, Delphine Deloget capte avec grand talent le sentiment d’urgence, la colère et la tristesse montante de cette mère de famille obligée d’assurer.

Rien à Perdre est une réussite éclatante, aussi bouleversante qu’elle est sublime, habitée par un casting brillant à souhait. Virginie Efira, qui n’a évidemment plus rien à prouver, continue de montrer son talent de composition au service de cette femme aux apparences ordinaires mais à la force hors-normes, aux côtés d’un sensationnel Félix Lefèbvre et d’un très intense Alexis Tonetti dans les peaux des deux enfants de Sylvie. On retrouve également à l’image les excellents India Hair, Arieh Worthalter et Mathieu Demy.

Par la force légère et habile d’une mise en scène à la fois voluptueuse et intimiste, Rien à Perdre se révèle bouleversante approche d’un drame quotidien, malheureux et banal, emmenant sa famille centrale à se dresser contre les lois pour pouvoir faire entendre leurs voix. Sous la bannière d’une déchirante Virginie Efira toujours sur le fil, dans une composition royale qui l’emmène à perdre pied totalement, Delphine Deloget bouleverse entièrement par son premier long-métrage à l’exécution redoutable, aussi attachant qu’il est déchirant, empreint de colère, de mésententes, de divergences de point de vue et d’erreurs de parcours, emmenant son spectateur dans la vrille sensationnelle de cette famille ordinaire brisée par des failles institutionnelles contre lesquelles on ne fait généralement pas le poids.