Critiques Cinéma

LE GARÇON ET LE HÉRON (Critique)

SYNOPSIS : Après la disparition de sa mère dans un incendie, Mahito, un jeune garçon de 11 ans, doit quitter Tokyo pour partir vivre à la campagne dans le village où elle a grandi. Il s’installe avec son père dans un vieux manoir situé sur un immense domaine où il rencontre un héron cendré qui devient petit à petit son guide et l’aide au fil de ses découvertes et questionnements à comprendre le monde qui l’entoure et percer les mystères de la vie. 

En 2013, lorsquHayao Miyazaki adapte librement la vie de l’ingénieur aéronautique nippon Jirō Horikoshi dans Le Vent se lève, un goût mélancolique d’au revoir traverse le paysage cinématographique international. Le co-fondateur des studios Ghibli, machine à rêve et merveilleux médium de l’imaginaire asiatique classique et contemporain, réalisateur inépuisable de classiques intemporels qui continuent d’appuyer la magie de l’animation japonaise, s’était décidé à s’arrêter, à prendre une retraite bien méritée. Laissant derrière lui un héritage déjà très bien fourni, entre sa Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro, Mon Voisin Totoro, Le Château dans le Ciel, Nausicäa et La Vallée du Vent, au milieu de tant d’autres, le départ de Miyazaki des studios ne se fit pourtant que temporaire, car à 82 ans, le réalisateur s’est trouvé un nouveau souffle avec son grand retour, un long-métrage surprise et tant attendu qui s’est targué pour sa sortie au Japon d’une promo microscopique menée par une affiche sobre, une esquisse peinte à la main d’un héron avec un œil humain dépassant de son bec, posé au-dessus d’un titre énigmatique : « Et vous, comment vivrez-vous ? « , référence à un roman de 1937 écrit par Genzaburō Yoshino. Quelques mois après son pays natal, le re-nommé Le Garçon et le Héron s’exporte chez nous, et assure le retour triomphal du maître Miyazaki.



Le film raconte l’histoire de Mahito, un jeune garçon contraint d’emménager avec son père et sa nouvelle compagne, après qu’il ait perdu sa mère dans un incendie causé par la guerre (qu’on imagine, vu le contexte temporel du film, être la Seconde Guerre Mondiale, pourtant jamais littéralement nommée). Dans ce vieux manoir entouré d’une nature qui reprend ses droits progressivement sur les ruines environnantes, le garçon se retrouve nez à nez avec un étrange héron, l’emmenant malgré lui dans un autre monde afin d’y trouver sa place et son destin. Prenant la structure classique du roman Isekai (un personnage est projeté dans un monde parallèle au sien), emmenant son jeune héros endeuillé, solitaire et déjà égratigné par la vie, à traverser un portail façon Alice au Pays des Merveilles pour découvrir l’autre côté de la pièce un monde aux contours merveilleux, peuplé de créatures volatiles en tout genre et bâti sur des fondations sur le point de s’effondrer. Miyazaki se ramène à ses goûts prononcés pour le fantastique, jusqu’à se prononcer dans un surréalisme délicieusement barré qui s’amuse avec les dysmorphies, la malléabilité, la fragilité et les mutations des corps animaux, végétaux et humains qu’il conçoit avec une malice évidente pour mener le rythme de cette aventure nébuleuse, colossalement mélancolique. Le Garçon et le Héron propose une exploration visuelle somptueuse, à la fois dans les designs de ses personnages et de ses créatures, mais également dans son découpage technique et la fluidité sensationnelle de ses plans, laissant l’animation évoquer son pouvoir émotionnel lors de ses séquences clés. La scène de l’incendie qui ouvre quasiment le film et qui le ponctue, comme un traumatisme cauchemardesque qui marque une vie et qui saisit la violence d’une période et d’une enfance tragique, prend forme par un dessin crayonné, saccadé par son sentiment d’urgence, par l’absence dramatique de la mère, et par l’émotion transperçante de Mahito. Le rouge des flammes laisse ensuite place au vert de la nature qui embrasse le manoir de sa nouvelle belle-mère, raccrochant Miyazaki à ses thèmes de prédilection, laissant toujours l’herbe, les arbres et la force spirituelle de la campagne habiller les horizons de ses personnages. C’est ensuite une vieille ruine décrépie que Mahito visite, suivant les pas d’un héron cendré cachant à l’intérieur d’elle une créature tout en mystères, pour se retrouver plongé dans un monde aux mille et unes couleurs, du noir de la nuit au rouge du feu, en passant par le bleu azuré du ciel et le blanc pur des warawaras s’envolant vers leur nouvelle vie de l’autre côté du monde. Et ce sont les oiseaux qui mènent le rythme de ce somptueux récit initiatique, derrière son héron cendré bien bavard, par une armée de perruches multicolores ou un banc affamé de pélicans, source d’un bestiaire diablement inventif qui nourrit l’imaginaire foisonnant d’un Miyazaki qui crée à plein régime.

En s’habillant d’un surréalisme conséquent, laissant l’espace du rêve et la magie du cauchemar s’envelopper autour de Mahito, Le Garçon et le Héron bascule dans le portrait personnel dans sa dernière partie, laissant intervenir un alter-ego de son réalisateur, un créateur de monde en fin de route qui cherche à laisser son héritage à celui qui saura concevoir la beauté de l’avenir. Hayao Miyazaki bouleverse dans la portée de son récit, racontant l’éphémérité de l’art, la nécessité de transmettre et l’approche de la conclusion. L’émotion, tapie dans toutes les strates du film, jaillit alors pour raconter l’histoire de son metteur en scène, un concepteur de rêve espiègle qui garde malgré le temps qui passe l’âme et les espoirs d’un enfant.

Par la force sans limites de sa mise en scène onirique, la douceur terrassante de la bande-originale sublime de Joe Hisaishi, la profusion imaginative de son exploration visuelle et l’ambition narrative de sa signature, Le Garçon et le Héron se révèle bien à la hauteur de ses promesses, une œuvre-somme du cinéma total conçue par Miyazaki au fil de sa carrière, dans une aventure bouleversante d’humanité à la grâce intarissable, qui prend des doux airs d’au revoir – ou d’à-bientôt. Ce nouveau film est une chance immense, car il permet à son réalisateur de mettre en scène ses adieux – même s’il s’avère que, finalement, le maître va à nouveau se remettre au travail, parce que du haut de ses 82 ans, l’inspiration ne s’arrête visiblement jamais – dans un colossal morceau d’émotion, de mélancolie et de nostalgie, un récit quasiment testamentaire à l’épreuve du temps qui passe et de la mort inévitable, qui se saisit de l’esthétique 2D de l’animation japonaise classique pour prodiguer aux spectateurs du monde entier les leçons de vie de l’un des créateurs de rêves les plus inépuisables de son histoire.

 

Titre original: KIMI-TACHI WA DO IKURU KA

Réalisé par:  Hayao Miyazaki

Casting: Gavril Dartevelle, Soma Santoki, Juliette Allain …

Genre: Animation, Drame, Aventure

Sortie le: 1er novembre 2023

Distribué par : Wild Bunch Distribution

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