Critiques Cinéma

DOGMAN (Critique)

SYNOPSIS : L’incroyable histoire d’un enfant, meurtri par la vie, qui trouvera son salut grâce à l’amour que lui portent ses chiens.

Ne jamais enterrer trop vite celui qu’on aurait cru incapable de se relever des pires épreuves… On ne reviendra pas sur les ennuis judiciaires et administratifs qui ont poussé Luc Besson à mettre sa carrière de réalisateur en pause pendant plus de cinq ans – on s’en fiche d’autant plus éperdument que cela ne nous regarde pas. On se contentera de parler d’un film qui, à bien des égards, continue de prouver à quel point le cinéaste du Grand Bleu n’en finit plus de projeter ses propres angoisses – quand il ne s’agit pas de se projeter lui-même – au travers d’un protagoniste dont on connait désormais le schéma interne sur le bout des ongles. Soit un prototype d’homme-enfant en manque d’affection, marqué par des souffrances familiales qu’il passe toute sa vie à tenter d’exorciser, et qui, confronté à l’inattendu (un événement, une apparition, une rencontre, une forme artistique…), voit soudain sa destinée s’infléchir dans un sens (a priori positif mais potentiellement fatal à l’arrivée). On ne compte plus les exemples auxquels Besson a su donner vie : le voleur romantique (Subway), le plongeur asocial (Le Grand Bleu), la punkette impulsive (Nikita), l’assassin analphabète (Léon), la pythie vengeresse (Jeanne d’Arc), le tchatcheur malheureux (Angel-A), etc… Que des figures trouvant leur refuge dans une certaine forme de marginalité et leur salut dans un contact incongru avec son prochain. Cela dit, si DogMan honore cette tradition, il s’impose comme un film à part dans la filmo de son auteur.


La présence de canidés et d’un individu marginal pouvaient a priori laisser penser à un sous-Danny the Dog, mais il n’en est finalement rien. Parce qu’en l’occurrence, les critères de la production formatée EuropaCorp ne répondent pratiquement pas à l’appel. Pas de blague beauf censée remplir les trous d’un scénario de dix lignes écrit à la va-vite. Pas de musique branchée et banlieusarde pour créer une illusion de rythme dans une narration qui en manque terriblement. Pas même de héros faisant vrombir le moteur d’une bagnole, d’action à la sauce Yamakasi (on aura juste un assaut final en mode Maman j’ai raté l’avion !) ou même d’un gros black à qui on pète la gueule au détour d’un raccord (remember le clip de Mozinor…). Ici, c’est le premier degré franc et sincère qui domine les enjeux. DogMan sera un drame, un vrai : sombre et torturé, sérieux et habité, déroulant le récit d’un homme-enfant martyrisé dans son enfance mais finalement transcendé au contact de l’art et des chiens. Ce personnage-là, génialement incarné par Caleb Landry Jones, Besson ne le quitte jamais des yeux, allant même jusqu’à renouer avec cet habile système de narration en zig-zag qui caractérisait déjà son précédent film Anna. Au vu de ces bribes de passé qui remontent petit à petit au sujet de ce personnage d’entrée interpellé et incarcéré (tout tient sur un solide système de flashbacks au cours d’un entretien avec une jeune femme psy), toute la narration dessine peu à peu une psyché fragmentée, sujette au transformisme le plus total. Et le film lui-même, bigarré dans ses revers narratifs comme dans son esthétique intemporelle, lui emboîte parfaitement le pas, calé jusqu’au bout sur son schéma interne.


Il y a trois personnages en un dans ce « dogman » du titre. D’abord l’ancien souffre-douleur d’une famille à fond dans le fanatisme sadique et la haine d’autrui, qui aura fini par l’enfermer jour et nuit dans un chenil en guise d’éducation, et ce avant que la police ne vienne mettre un terme à cet effroyable martyr. Ensuite un authentique survivant qui, contraint de se déplacer en fauteuil roulant avec les jambes vissées à un imposant dispositif métallique, épouse le quotidien d’un freak en rupture avec la société dite « normale ». Enfin un lointain cousin du héros d’Angel-A, si incapable de voir son propre reflet dans un miroir que la stratégie transformiste devient sa meilleure porte de sortie – il devient travesti au sein d’une troupe de cabaret. Sur ce dernier point, il est surprenant de voir Besson troquer la caractérisation à la fois virile et sensible de ses figures héroïques (y compris féminines) contre un entre-deux à la lisière du manifeste queer. De l’opportunisme déguisé en progressisme ? Non, juste une façon comme une autre de réinventer ses propres figures, mais aussi de ne rien figer dans le marbre tout au long d’une intrigue avant tout psychologique, voire anti-spectaculaire. Ni psychopathe absolu ni justicier moderne ni même ersatz du Joker de Todd Phillips (et c’est pourtant peu dire que les images du trailer avaient laissé craindre la redite !), le protagoniste de DogMan est comme un palimpseste vivant, sujet d’une quête identitaire qui ne cesse de se réécrire au gré des rencontres et des péripéties. Et surtout, une sorte de « monstre incompris » qui fait le trait d’union entre une humanité bien trop animale et des canidés bien plus humains que les vrais.


On aura beau relever des incohérences dans la façon dont s’organise le lien entre le héros et les chiens (un improbable ultimatum à base de service trois pièces tenu entre les crocs d’un dobermann, une réactivité surréaliste des chiens pour chercher des aliments précis sur une étagère, etc…), c’est pourtant elle qui active ce mélange d’émotion et de tension dans chaque scène, Besson se focalisant le plus souvent sur des jeux de regards et de gestuelle qui en disent mille fois plus que la moindre ligne de dialogue. La technique n’ayant plus aucun secret pour lui, le cinéaste déballe à nouveau une mise en scène d’une incroyable maîtrise, usant à loisir des intérieurs contrastés et lugubres où la lumière du soleil peine à percer, accompagnant chaque percée émotionnelle par une partition inattendue de son éternel comparse Eric Serra (lequel laisse tomber ses synthés pour des sonorités plus atmosphériques et inquiétantes) et gérant les variations de rythme en fonction de l’enjeu qui l’exige (il est heureux de le voir ne jamais se précipiter pour dérouler son récit et creuser ses caractères). A ce stade, on passe volontiers outre l’influence toujours aussi prégnante de Nikita et de Léon au détour de quelques petites sous-intrigues (mafieux faisant régner la terreur dans le quartier, enquête policière sur une série de braquages…) ainsi que la symbolique christo-rédemptrice un peu lourde en fin de métrage (on ne s’improvise pas sous-Scorsese ou semi-Ferrara comme ça !). La force de DogMan est avant tout d’être à la fois neuf et familier, universel et personnel, comme si ce vieux cabot de Besson ouvrait à nouveau son âme (d’enfant) pour parler au plus grand nombre – tant pis pour ceux qui s’obstineront à y percevoir de la naïveté – et finissait par mordre à pleines dents dans une émotion forte après l’avoir longtemps reniflée et traquée. C’est un retour gagnant, un vrai.

Titre original: DOGMAN

Réalisé par: Luc Besson

Casting: Caleb Landry Jones, Jojo T. Gibbs, Christopher Denham …

Genre: Drame, Action, Thriller

Sortie le: 27 septembre 2023

Distribué par : EuropaCorp Distribution / Apollo Films

EXCELLENT

 

 

 

 

 

 

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