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SYNOPSIS : Lorsque son premier grand amour disparaît du jour au lendemain, Asako est abasourdie et quitte Osaka pour changer de vie. Deux ans plus tard à Tokyo, elle tombe de nouveau amoureuse et s’apprête à se marier… à un homme qui ressemble trait pour trait à son premier amant évanoui.
Au démarrage, il y a Asako. Malgré ce que le titre de son film l’évoque, il n’y en a qu’une seule qui existe et qui mène le fleuve. La jeune étudiante d’Osaka se retrouve, comme guidée et passionnée par une vision picturale en périphérie de l’exposition de photographies qu’elle visite, sur le chemin de Baku. Intriguée – fascinée – par son allure désinvolte, son visage ténébreux et ses cheveux mi-longs, Asako le suit, et les deux jeunes tombent immédiatement amoureux. Comme sortis d’un conte de fée disneyen, ou des frasques romantiques d’un manga à l’eau de rose où l’amour se construit en un simple regard, Asako et Baku deviennent des amants passagers, partageant une relation fugace et intense. Mais un matin, Baku part en laissant Asako seule dans sa tristesse. Le conte de fée se fait rattraper par la réalité, les histoires d’amour se confondent avec les tumultes et les imprévus de la vie avec une poésie indéniable, faisant d’Asako une figure narrative profonde, un sujet d’étude mémorable qui donne au réalisateur et scénariste japonais Ryῡsuke Hamaguchi une structure limpide à son Asako I&II, sorti en 2018 après sa « série-ciné » Senses, et avant ses explorations merveilleuses Drive my Car et Contes du Hasard (et autres Fantaisies). Le film fait intervenir une ellipse de 2 ans après ses premiers balbutiements, projetant Asako à Tokyo, alors serveuse d’un café de quartier. Lors d’une livraison pour la grande entreprise qui possède le building en face de son travail, elle rencontre Ryōhei, un jeune homme ouvert et tempéré qui la fascine immédiatement : il a le même visage que Baku. Les deux tombent amoureux, mais leur relation fait face au passé, aux sentiments d’Asako pour son ancien amant et aux tribulations de la vie quotidienne qui tend indéfiniment à ne pas faciliter le cours des choses.

Dans la lignée de son cinéma, jouant avec la chaleur d’une humanité qui se construit dans les petits riens, dans les vagues du hasard et dans la poésie du chaos, Hamaguchi continue son exploration sentimentale moderne via la double vie d’Asako, déchirée entre l’amour qu’elle porte à deux garçons qui présentent le même visage. Et pourtant, Baku et Ryōhei sont aux opposés. Le premier, impulsif et insaisissable, dénote avec le second, réfléchi et tendre. L’idée du double, source intarissable de concepts narratifs au cinéma (Persona, Enemy, La Double Vie de Véronique, Faux-Semblants, Lost Highway…) sert son récit à un point de rupture particulièrement subtil. Le metteur en scène nippon, dans son objectif final de scanner le mouvement perpétuel de la jeunesse contemporaine (dont le style rappelle les obsessions de la nouvelle vague française, en particulier Rohmer), dresse un tableau diablement complexe derrière les apparences, dessinant les doutes prolongés, les sentiments contradictoires, les douleurs lancinantes et les trahisons inéluctables qui se nichent dans les esprits amoureux. L’amour y est vu aussi fatal qu’éternel, source immortelle de cercles vicieux et d’émotions vacillantes.

Hamaguchi découpe alors son film en deux, se plongeant dans la tête troublée de son héroïne, suivant ses relations habitées par les regrets passés et les douleurs d’un abandon soudain. Les deux visages du comédien Masahiro Higashide, merveilleux de précision et d’une richesse de jeu fascinante, collisionnent sous le regard de la spectaculaire d’Erika Karata qui campe la Asako du titre. Elle est le centre du récit, son cœur qui bat à tout rompre, en détruisant malgré elle ce qu’elle était parvenue à construire. Cette héroïne, tragique s’il en est, compose l’âme d’un film intrinsèquement coupé au centre, balançant entre ses deux amants et la pluralité de ses sentiments. Asako s’enferme alors dans une histoire qu’elle se raconte à elle-même, voyant Baku comme l’homme de ses rêves malgré ses incartades et ses pulsions volages. De l’autre côté du prisme, comme un miroir déformant qui s’influence lui-même, Ryōhei fait figure de prince charmant un brin imparfait, le boy next door maladroit typique, raccrochant malgré tout le film à la romcom et à ses émotions convergentes. Mais Asako, comme l’amour en général, est complexe et parallèle. Les visages se confondent, façon kaléidoscope de sentiments, se collisionnant au gré du hasard et des mauvaises décisions pour arracher un bonheur simple et certain qui n’existe pas. Asako I&II raconte que les histoires, aussi bienveillantes et belles peuvent-elles être, ne reste que de la fiction. La simplicité n’a pas sa place dans la réalité, ramenant toujours ses protagonistes dans un flot intarissable de désirs brûlants, de frustrations tragiques, de promesses non tenues et de ruptures douloureuses. Hamaguchi fait état d’une jeunesse au cœur morcelé, qui tente de recoller maladroitement les morceaux comme si les contes de fée pouvaient s’incarner à travers son être aimé. Et c’est de ces constats mélancoliques qu’Asako I&II tire toute sa beauté. De ses moments de vie épurés, sensibles et réalistes, le film se transforme en une ode à l’amour et à sa complexité. Au milieu de sa tempête de sentiments, le metteur en scène compose un récit animé par la passion et par un goût prononcé du mélo, dépouillé à la racine du pathos habituel, mais nourri par la sensation chaleureuse d’être en terrain familier, et d’observer la vie de proches qui n’arrivent pas à se poser.

Car le long-métrage existe finalement dans un entre-deux, entre les deux visages de Masahiro Higashide, entre les émotions de sa Asako, se forgeant subtilement une réalité propre. Une réalité où la douleur est poésie, où les erreurs sont une danse et où les disputes sont de la musique. Par la mise en scène délicate et onirique de Hamaguchi qui excelle dans sa représentation de la vie quotidienne tokyoïte, son film prend des airs de rêve au-delà des sentiments, comme un nid d’émotions tapies dans les non-dits et les regrets. Asako bouleverse par la douceur de son regard, la bienveillance de son traitement et la poésie pure de sa mise en scène, à la fois voluptueuse et éclairée. Hamaguchi signe une œuvre profondément vibrante, à la fois recueil de sensations, de rêves oubliés, de déclarations inachevées et de tristesse inextinguible, savourant son humanité dans ses creux et ses zones d’ombre, plongeant le cinéma japonais dans une sublime mélancolie qui secoue et qui marque durablement le cœur par ses apparences tragiques. Car Asako I&II dessine l’après, les conséquences directes d’un amour douloureux, sûrement toxique, qui s’infiltre dans les failles d’un nouveau naissant. La figure du double en proue d’un navire qui vogue à travers les rêves respectifs de ses héros (le titre original, littéralement « Dormir ou se réveiller », évoque directement cette idée), Hamaguchi présente une protagoniste aux émotions en guerre à travers un récit initiatique peuplé de regrets et de silences, abandonnant le conte de fée pour essayer de faire s’épanouir une nouvelle relation. Asako I&II est une magnifique double merveille, portrait en miroir de deux amours qui collisionnent, à la poésie mélancolique et à l’apparente douceur. Mais, par une précision sidérante et une fragilité brillamment subtile, Hamaguchi dessine avec ce film une œuvre rare, symbolique à souhait, questionnant à la fois la fidélité, la raison, les pulsions et les contradictions de l’amour, confrontant Asako à la douleur de l’après, l’obligeant à laisser ses douleurs et ses regrets cicatriser pour pouvoir enfin aller de l’avant. Et si ces quelques mots ne vous ont pas encore convaincus de vous lancer le film, sachez qu’un adorable chat y possède une place de luxe, et que sa seule présence mérite déjà de se jeter dessus.

Titre Original: NETERNO SAMETERNO
Réalisé par: Ryūsuke Hamaguchi
Casting : Masahiro Higashide, Erika Karata, Koji Seto…
Genre: Romance, Drame
Sortie le: 2 janvier 2019
Distribué par : Art House

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Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2010








































































































































