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SYNOPSIS : Smith mène une vie tranquille sur le campus – il traîne avec sa meilleure amie, l’insolente Stella, couche avec la belle London, tout en désirant Thor, son sublime colocataire, un surfeur un peu simplet – jusqu’à une nuit terrifiante où tout va basculer. Sous l’effet de space cookies ingérés à une fête, Smith est persuadé d’avoir assisté à l’horrible meurtre de la Fille Rousse énigmatique qui hante ses rêves. En cherchant la vérité, il s’enfonce dans un mystère de plus en plus profond qui changera non seulement sa vie à jamais, mais aussi le sort de l’humanité.
Chez Gregg Araki, on est habitués aux intrigues nihilistes, aux personnalités désinhibées, aux images tapageuses et à la douce sensation du what-the-fuck effect. Que ce soit dans sa trilogie de la jeunesse autodestructrice (Totally Fucked Up, The Doom Generation, Nowhere), dans son mélodrame linéaire, extraterrestre et traumatique Mysterious Skin, ou dans sa farce hilarante Smiley Face qui conviait Anna Faris dans un trip sous space-cake, le metteur en scène américain a fait de son cinéma un recueil d’intrigues over-the-top, petites déflagrations successives un brin fucked up aux esthétiques léchées et à la richesse curieusement attachante, le tout saupoudré d’une énergie queer gentiment foutraque qui leur donne une identité singulièrement reconnaissable entre mille dans le paysage audiovisuel américain. En 2010, c’est avec l’étrange Kaboom qu’Araki se dirige vers le Festival de Cannes (où il décrochera la Queer Palm, d’ailleurs) pour désarçonner la critique et envoyer le public dans une balade sensorielle où jouissance, jubilation, explosivité et mysticisme se croisent et se décroisent dans une proposition orgiaque de cinéma. Kaboom suit Smith, un jeune étudiant américain, et son quotidien au sein du campus où il vit. Il partage sa chambre avec Thor, un surfeur blond décérébré à la virilité proéminente qui l’obsède, et passe ses journées à discuter avec sa meilleure amie lesbienne Stella. Pendant une soirée, Smith fait la connaissance de London, une belle et curieuse fille avec laquelle il va se lier, avant d’être témoin de la disparition mystérieuse d’une jeune femme rousse qu’il avait déjà aperçu dans un de ses rêves. La suite de l’histoire est une débauche d’imagerie charnelle, de trip à l’acide, de pouvoirs surnaturels, de manifestations d’une sorcière française et d’une organisation secrète portant des masques d’animaux pour commettre leurs méfaits. Les personnages autour de Smith (sa mère distante, son père mort dans un accident quand il était bébé, le joli crush Oliver ou le stoner magnifique et prophétique qui se fait appeler « Le Messie ») s’agencent de façon chaotique dans une intrigue absurdement nihiliste qui décompte jusqu’à son explosion finale.

Vous l’aurez compris, Kaboom n’est pas le film habituel, qui offre sur un plateau un récit linéaire, lisible et uniforme. Il plonge outrageusement et généreusement dans la tête embuée d’un protagoniste dans la fleur de l’âge, obsédé par le sexe et l’envie de connaître sa place dans l’univers, au point que tout autour de lui se distord constamment sans une once d’installation ou de justification. Et la magie de Gregg Araki prend racine à cet endroit très précis, car sans s’en rendre compte, on se prend à ce jeu insensé qui se déconnecte des genres pour suivre le cours de ses pulsions, de ses fantasmes et de ses codes qu’il instaure lui-même à sa façon. Kaboom est une œuvre déraisonnable et déraisonnée, évoquant le teen-movie dans ses rapports de campus et dans les relations entre les personnages, tout en se plongeant avec délectation dans le film d’horreur, le giallo, le slasher, le thriller paranoïaque, le film d’enquête et le récit fantastique. Rien ne fait sens d’emblée dans ce grand n’importe-quoi anarchique et déroutant, qui corrobore alors son objectif pourtant annoncé dès son titre : tout est sur le point d’exploser, alors tout ce qu’on peut raconter, vivre et faire d’ici là a-t-il vraiment une importance ?

Gregg Araki signe un film à l’ambition fluide et à l’énergie pulp profonde, sorte de film-parallèle érotico-drogué du Scott Pilgrim d’Edgar Wright, sorti la même année. Les inspirations visuelles, les transitions à mi-chemin entre la sitcom et la bande-dessinée, l’esthétique flashy hantée par les néons, la force imaginaire des costumes méga-colorés conçus par Trace Gigi Field, le montage haché et jouissif signé par Araki lui-même, et la dose effarante d’humour trashos à souhait peuplé de punchlines sarcastiques et référencées : Kaboom est une bulle queer indomptable, une secousse hilarante et démesurément inventive, qui croit pourtant dur comme fer à son absurdité ravageuse et à la nature excessive de ses twists narratifs en fin de parcours. Les 10 dernières minutes sont une succession de révélations improbables séchées par un dernier plan excessivement mythique qui coupe court aux palpitations du récit en réussissant miraculeusement à ne pas s’annihiler tout seul. Gregg Araki rêve son Donnie Darko, petit monde sous MDMA et sous poppers, prophétisant la fin des temps depuis la chambre de campus d’un jeune adulte hormonalement instable même pas encore sûr de son orientation sexuelle – ou qui s’en tape, probablement.

Thomas Dekker sert, à ce propos, un protagoniste hautement hypnotisant, un semi-loser aux yeux bleus azurés et à l’envie profonde de tomber amoureux de n’importe qui, fantasmant sur son coloc blondinet macho-débilos au surnom super-héroïque et s’abandonnant aux trips sensationnels des relations intimes et des visions oniriques d’un complot qui pèse sur le monde (comme tous les adolescents, en somme). Smith est un héros délicieusement chaotique, à la fois attachant et un peu pathétique, qui subit le poids d’un héritage quasi-divin lui posant l’obligation de tenter de sauver le monde. D’ailleurs, si on s’écoutait un peu plus parler, on jurerait que Kaboom est une adaptation TRÈS illégitime de Percy Jackson, mais on risque de faire dérailler des gens en allant jusque-là… A ses côtés, Haley Bennett campe Stella, la meilleure amie de Smith, occupée pendant tout le film à tenter de rompre avec la sensuelle et magnétique Lorelei (la française Roxane Mesquida) après avoir découvert qu’elle était une sorcière troublée et névrotique. On trouve également la sublime et hilarante Juno Temple qui incarne London, une jeune femme étrange, affectueuse et sûre d’elle, source d’une jolie plâtrée de répliques délicieusement gratinées. Par la force des choses, il est facile de catégoriser Kaboom comme un festival de n’importe-quoi, un peu grand-guignolesque et ultra-référencé pour blinder ses imperfections narratives, mais ça serait passer à côté de l’essence-même de la proposition. Gregg Araki signe avec ce film un rêve enfumé, délire de stoner aux ambitions quasiment post-modernes pour dessiner les préoccupations et les interrogations nihilistes de la jeunesse moderne. En prenant la comédie fantastique absurde comme médium, il dresse avec une liberté d’autant plus étayée un carnet de bord des pulsions adolescentes et de l’autodestruction fatale qui guette tout le monde. Le bonheur, la jouissance et le plaisir sont éphémères, et Kaboom nous emmène pendant 1h30 nous faire valdinguer le cerveau dans un trip sous acide follement pulp, brillamment photographié par Sandra Valde-Hansen et théâtre stupidement simpliste de chaos et d’imagerie apocalyptique. Araki comme capitaine d’un bateau sans haut ni bas, sans gauche ni droite, sans sens ni explication, sans genre ni repères, qui enthousiasme, explose et régale avant de souffler dans son dernier tiers des effluves délicatement mélancoliques qui rappellent le sérieux de son cinéma derrière son apparente gaminerie. Kaboom se met face à la théorie du genre cinématographique pour rappeler à sa singulière façon qu’il n’y aura jamais rien de plus efficace et de plus plaisant que la pratique. Quoi que ça veuille dire.

Titre Original: KABOOM
Réalisé par: Gregg Araki
Casting : Thomas Dekker, Juno Temple, Roxane Mesquida…
Genre: Comédié
Sortie le: 6 octobre 2010
Distribué par : Wild Bunch Distribution

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Catégories :Critiques Cinéma, Les années 2010








































































































































