Critiques Cinéma

YOUR NAME (Critique)

SYNOPSIS : Mitsuha, adolescente coincée dans une famille traditionnelle, rêve de quitter ses montagnes natales pour découvrir la vie trépidante de Tokyo. Elle est loin d’imaginer pouvoir vivre l’aventure urbaine dans la peau de… Taki, un jeune lycéen vivant à Tokyo, occupé entre son petit boulot dans un restaurant italien et ses nombreux amis. À travers ses rêves, Mitsuha se voit littéralement propulsée dans la vie du jeune garçon au point qu’elle croit vivre la réalité… Tout bascule lorsqu’elle réalise que Taki rêve également d’une vie dans les montagnes, entouré d’une famille traditionnelle… dans la peau d’une jeune fille ! Une étrange relation s’installe entre leurs deux corps qu’ils accaparent mutuellement. Quel mystère se cache derrière ces rêves étranges qui unissent deux destinées que tout oppose et qui ne se sont jamais rencontrées ? 

Avec toutes les histoires qui ont été écrites, racontées, remodelées, déconstruites et réinventées à travers toute l’Histoire avec un grand H, aurait-on déjà tout dit de l’Amour ? Qu’il soit bénéfique, toxique, destructeur, maudit, interdit, salutaire ou fauteur de trouble, le sujet a fait son bout de chemin à travers les Arts et les différents médias narratifs qui continuent aujourd’hui de livrer leurs vérités. Mais sommes-nous réellement arrivés à un point de bascule, celui qui nous met face à un constat d’échec flagrant : n’aurait-on plus rien à raconter ? C’est à ce point qu’intervient le réalisateur Makoto Shinkai, nouveau prince de l’animation japonaise, qui signe en 2016 l’un des plus beaux succès nippons de tous les temps avec son voluptueux Your Name. Lorsque ce quatrième long-métrage pointe le bout de son nez dans les salles japonaises, Shinkai est connu pour ses explorations thématiques et adolescentes qui plongent leurs spectateurs dans une mélancolie lancinante et magique au contact des émotions les plus intactes. L’Amour y est mis à mal par tout un tas de séparations (le sommeil extensible de l’héroïne de La Tour au-delà des Nuages, la distance d’un déménagement dans 5 Centimètres par Seconde, la mort contée dans Voyage vers Agartha), et fait pleuvoir sur ses protagonistes des vagues de larmes, de regrets, de remords et de déceptions chroniques qui finissent par être durablement contrebalancées par la beauté intrinsèque de son cinéma, à la fois dans son esthétique ultra-léchée et dans la justesse bouleversante de ses thèmes et de son rapport aux relations humaines. L’Amour est maudit, mais jamais condamné, quoi qu’on en pense.



C’est également le sujet de prédilection de Your Name, œuvre-somme – si ce n’est chef-d’œuvre zénithal – de la carrière de son metteur en scène. On y suit une jeune fille, Mitsuha, habitant avec sa petite sœur et sa grand-mère dans un village perché dans la province nippone, et un jeune garçon, Taki, jonglant entre son petit job de serveur et son parcours lycéen à Tokyo. Ils ne se connaissent pas, mais leurs vies collisionnent lorsqu’une comète scinde le ciel japonais au-dessus de leurs têtes. Une nuit, les deux adolescents échangent de corps le temps d’un rêve, chacun vivant de manière éphémère le quotidien de l’autre. Le matin au réveil, leurs souvenirs de leur autre vie s’estompent, mais les sentiments restent. Il est alors inévitable que les deux lycéens cherchent à se rencontrer avant qu’il ne soit trop tard…


Car Your Name est affaire de sensations, racontant l’Amour par une série continue de conversations et de bouleversements récurrents grâce à une esthétique ravageuse et éclatante qui dessine ses personnages avec une virtuosité extraordinaire. Signant le studio CoMix Wave Films à l’animation (collaborateur indissociable de Shinkai depuis son premier long-métrage) atteignant avec ce projet le summum de leur art, Your Name est une réflexion artistique magistrale sur les contrastes entre les repères traditionnels et les apports de la modernité au sein du quotidien de la jeunesse nippone contemporaine. Mitsuha est une miko, une figure sainte du shintoïsme, permettant à Makoto Shinkai de se servir de l’imagerie classique de l’Histoire japonaise pour conter l’éphémérité du devoir de mémoire, qui s’estompe fatalement après plusieurs générations mais dont les valeurs traversent malgré tout le temps. Mitsuha et sa sœur continuent de mener des rituels sacrés, pendant lesquels elles conçoivent une offrande de saké, et ce en ayant oublié le sens symbolique de ce rite dans leur communauté. C’est ce sujet de contradictions qu’évoque Your Name, séparant cette fois-ci ses deux protagonistes par les failles de l’espace (lui est en ville et rêve du calme de la campagne, elle vit en province et rêve de la vie tokyoïte) et du temps (de façon métaphorique, Taki faisant corps avec la modernité et Mitsuha avec l’héritage traditionnel). Une dernière séparation fait son apparition au milieu du récit, tellement poignante qu’il serait criminel de notre part de vous dévoiler le cœur de cette fabuleuse intrigue dans cette critique si vous n’avez pas encore découvert le film. Mais avec son scénario gonflé aux bouleversements et affluences émotionnels destructeurs menant inéluctablement les deux personnages à courir pour sauver leurs mondes au-delà de leurs rêves, Makoto Shinkai secoue à la fois les institutions en offrant une histoire qui transcende l’espace et le temps, et le sens de la narration en coupant son film en deux pour mieux venir imprimer son histoire de paradoxe et d’amour maudit au centre de cette sublime suite de tableaux de maître. Utilisant une animation d’une fluidité exemplaire, oscillant entre les effets 3D, la beauté des décors en 2D, la profondeur azurée de ses couleurs chatoyantes en communion avec la nature et le travail méticuleux de la reconstitution visuelle des objectifs de caméra réalistes (lensflares, travellings optiques et travellings compensés, entre autres formidables trouvailles), et la finesse déchirante du travail sonore (la somptueuse musique du groupe de rock RADWIMPS, lequel rentre en osmose totale avec l’univers esthétique du film, l’application de la conception des bruitages et la minutie du mixage global) font de Your Name une œuvre saisissante, techniquement irréprochable et guidée par un scénario passionnant qui joue avec son concept avec un humour débridé et une précision admirable.


En switchant les corps de Mitsuha et Taki (créant tout un tas de situations comiques, burlesques et contrastées purement jouissives) – chacun devant se faire au physique et à la vie de l’autre – Shinkai trouve ici un concept d’une efficacité fulgurante, qui nécessite juste de tirer sur le fil pour dénicher toujours plus d’idées formidables dans le but de dessiner la quête de ses deux protagonistes. Your Name donne l’impression d’être un objet purement original, une œuvre jamais vue dont la pourtant singulière familiarité emporte tout sur son passage. Comme s’il faisant depuis toujours partie de nos vies, comme s’il était censé exister et arriver sous nos yeux. Your Name est une œuvre multigénérationnelle, à la fois fruit des traditions et réflexions contemporaines sur le devoir de mémoire et sur le pouvoir spatio-temporel de l’Amour. Rarement il aura été aussi bien raconté, éclairé par la lumière d’une aventure dramatique à la frontière des mondes, vissé sur les visages de ses deux points de repères : Taki et Mitsuha, les deux faces d’une même pièce, reliés par ce que le folklore japonais appelle le Fil Rouge du Destin. Makoto Shinkai compose une réinvention lourde de sens et de justesse de la figure de l’Âme Sœur, celle qui existe, quelque part, qui hante les rêves, dont l’absence met les larmes aux yeux au réveil et qui prend finalement corps en dépit de toutes les séparations que le monde met en place. Your Name est un mythe moderne, bouleversant de sincérité et de bienveillance, monde de tragédie et de sentiments en mouvement, suivant les yeux vers le ciel une comète transcender l’espace-temps pour donner à deux adolescents un brin solitaires le réconfort et le salut d’un Amour qui, malgré les distances et la malédiction qui pèse sur lui, finira toujours par gagner au-delà des rêves et de l’effacement de la mémoire. Alors, peut-être qu’effectivement tout a déjà été dit au sujet de l’Amour. Mais tant qu’il y aura des œuvres comme Your Name, venant remettre l’émotion et les liens fondamentaux au centre de tout, il restera toujours de la place pour les nouvelles histoires, celles qui véhiculent tant de sincérité et de virtuosité que la Tradition ne peut que laisser la place à la Nouvelle Génération et à ses besoins d’émancipation. Your Name est une œuvre adolescente purement mature, à la beauté existentielle et à la profondeur infinie, qui tend à exister toujours, quelque part, à travers quelques simples notes ou une poignée de teinte de couleurs sur une toile blanche. Car Your Name – et on ne le dira jamais assez – est une merveille qu’on vous encourage évidemment à découvrir au plus vite.

Titre Original: YOUR NAME

Réalisé par: Makoto Shinkai

Casting : Yoann Borg, Ryûnosuke Kamiki, Alice Orsat …

Genre: Animation, Fantastique

Sortie le : 28 décembre 2016

Distribué par: Eurozoom

5 STARS CHEF D'OEUVRECHEF-D’ŒUVRE

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