
C’est un chuchotement que l’on entend parfois Sofia Coppola nous susurrer à l’oreille. La singularité de son geste cinématographique s’inscrit dans cette assertion, cette aspiration. Comme tout le monde, Sofia Coppola, c’est d’abord une chronologie. D’autant plus avec un papa nommé… Francis Ford Coppola !! « Mon école de cinéma, c’est mon père ! « . Sur ses épaules à 8 ans, elle découvre Cannes, elle traine fatalement sur les tournages, elle enregistre des images, des sons, des odeurs de films, et toute la puissance artistique du cinéma, poussé dans sa quintessence, vu la folie créatrice paternelle. Il y a Daddy Francis, mais aussi sa mère Eleanor, réalisatrice de documentaires, son frère Roman, réalisateur et producteur, et ses cousins, Nicolas Cage et Jason Schwartzman, de célèbres acteurs. Alors, évidemment, elle est tombée dedans quand elle était petite, son père l’ayant d’ailleurs fait tourner dès son plus jeune âge, c’est le moins que l’on puisse dire car elle fut le bébé de la scène du baptême dans le premier volet du Parrain (1972). Elle jouera ensuite dans Le Parrain 3 (1990) où elle se fera assassiner dans le rôle qui est le sien, mais aussi par une presse toujours en manque de vacheries gratuites. Elle avait alors 19 ans, et on peut parier que les plumes aigries n’auraient pas fomenté les mêmes basses œuvres si le nom de famille de Sofia avait été tout autre… La jeune femme, qui en fut forcément blessée en tirera une parfaite réponse toute en humilité : « Ces critiques m’ont permis de ne pas m’obstiner à vouloir faire de la comédie et m’ont fait gagner du temps « . Mais c’est bien sa passion pour la photo, d’abord dans les expos, ensuite dans ses études, qui lui mettront le pied à l’étrier vers la réalisation. Ce qui est tout sauf étonnant pour cette virtuose de l’image, du moment figé, de la cristallisation d’une émotion.

Par exemple, le travail photographique de David Hamilton est pour elle une véritable source d’inspiration pour particulièrement sa façon de témoigner des années 70 et son cadre bucolique, la recherche permanente de l’esthétique, « des jeunes filles dans de grandes robes » etc… Elle va dons s’essayer à la réalisation avec un premier court métrage en 1996 Lick The Star qui nous raconte les atermoiements et l’errance de jeunes filles paumées. Tout est déjà en place, la génétique peut-être, le talent très certainement. Tout ce qu’elle a enregistré enfant, sa passion pour l’image dans sa finesse et sa classe, et déjà des thèmes de prédilection qui émergent avec force : la passion pour les personnages décalés, en marge, amplifié par « l’enfermement d’être une femme « . Puis l’explosion d’un talent brut en 1996 avec l’iconique et inoubliable Virgin Suicides… Virgin Suicides, c’est donc tout de suite la baguette magique de la fée Sofia Coppola. A peine 3 minutes de film, et déjà l’envoutement irradie l’écran. Un grain de photographie feutré et perçant, une bande son spectrale et planante, des dialogues où chaque mot nous transperce. Sofia Coppola, c’est une artiste de la mise en scène, une créatrice du récit. Tout est léché, sans être calculé, tout est stylisé sans être surjoué. C’est un véritable esthétisme de l’émotion. Jamais surfait, elle érige l’authenticité et la sincérité au rang d’art qui chavire. Cette même sensibilité artistique va se déployer, avec bien sûr plus ou moins d’émergence dans les 6 autres longs métrages qui suivront : Lost In Translation (2003), Marie-Antoinette (2006), Somewhere (2010), The Bling Ring (2013), Les proies (2017), On the Rocks (2020). Ainsi, c’est la naissance d’une singularité propre, d’un style inimitable. Sofia Coppola, c’est une artiste peintre de la caméra, une plasticienne de la photographie, une styliste de l’image, une mélomane de la bande son. En tous les cas, Sofia Coppola c’est la grâce exquise, c’est le raffinement, la volupté et une magicienne de la création. « Toujours se stimuler au niveau créatif » est une aspiration qu’elle fait sienne. Qu’elle se rassure, car non seulement elle remplit son objectif, mais en plus, elle réalise nos rêves. Qui mieux que papa Francis pour le dire ainsi : « Plus elle fait de films, plus ils deviennent personnels, et plus elle impose son propre ton « . Et puis Sofia Coppola, c’est aussi un décor fétiche : l’hôtel de luxe : à New York, le Sherry Netherlands dans La vie sans zoé (qu’elle a co-écrit avec son père en 1989). Le Carlyle dans A Verry Murray Christmas (2015 sur Netflix). Bien sûr le Park Hyatt à Tokyo dans Lost In Translation, ou encore le Château Marmont dans Somewhere ou toujours dans Somewhere l’incroyable Hotel Principe di Savoia à Milan. Et évidemment comment ne pas penser à sa façon de déployer sa caméra dans le Versailles de son Marie-Antoinette. « J’aime bien le fait que, dans les hôtels, on finisse toujours par croiser les mêmes personnes, une sorte de complicité se crée, même si on ne les connaît pas, et même si on ne leur parle pas. » Sofia pose son atmosphère toujours dans le décalage, dans une sorte de jetlag permanent.

C’est aussi une justesse d’une rare sensibilité dans la façon de filmer l’adolescence, cet âge justement du flottement. Evidemment dans Virgin Suicides, que l’on voyait déjà venir dans Lick the star, mais même dans Marie-Antoinette avec les émois inhérents à cet âge de tous les possibles, de toutes les névroses, de toutes les euphories. Mais finalement, Sofia Coppola, c’est aussi et surtout une affaire de spleen, de quête identitaire et d’une forme de décalage permanent avec ses contemporains. Bob Harris (Lost in Translation) et Johnny Marco (Somewhere) ne diront pas autre chose. Sofia Coppola, c’est un cinéma de la torpeur, de l’acceptation d’une certaine idée de l’ennui, et de la lenteur. Des pauses salutaires autant que dramatiquement lassantes comme nous en offre la vie. C’est aussi une ode au silence, au contemplatif, à la suggestion permanente : « J’aime raconter l’histoire de manière visuelle. Je n’aime pas beaucoup expliquer les dialogues. » C’est ne pas prendre le spectateur pour un idiot, en cultivant l’ellipse, et en faisant passer tous ses messages par une image parfois figée, un sourire, un regard ou un silence. Sofia Coppola, c’est l’intelligence de l’instinct et de l’instant. Jamais inutilement bavard ou stérilement verbeux. Elle s’inscrit à contre-temps d’une époque où l’artifice et le superflu prédominent. Un moment de notre histoire où tout se vaut dans l’usage abusif et excessif de la parole. Avec Sofia, on se tait, on regarde, on ressent et on comprend. C’est un cinéma de la sensorialité. C’est calme et pourtant bien plus remuant et bouleversant que l’excès de mots. « Ce que l’on ne voit pas est parfois plus fort que ce que l’on montre » affirme-elle avec une profonde justesse. Aussi car Sofia Coppola, c’est un cinéma d’atmosphère. Il y a l’intelligence du moment, et il y a aussi l’image et le son. C’est toute la sensibilité artistique de la réalisatrice.

A la ville, elle est mariée à Thomas Mars du groupe Phoenix. Au printemps 2016, à l’Opéra de Rome elle mettra en scène à sa façon La Traviata de Verdi. Les pubs qu’elle a réalisées, notamment pour Dior se singularisent par leur très grande musicalité, tout comme la créativité des clips qu’elle a également conçus. Et puis c’est surtout l’art de mettre en scène et en son ses musiques, toujours savamment choisies. Notamment dans Virgin Suicides, avec des compositions musicales devenues anthologiques, qu’elle réussit par son génie artistique et une forme de magie du raffinement, de sa constance du bon goût, à faire épouser à jamais aux images qu’elle déploie et à l’histoire qu’elle raconte. Le désespoir inoubliable des filles Lisbon avec la musique de Air ; Mais aussi bien sûr les déambulations oniriques de Scarlett Johansson dans le japon bigarré entre le poids d’une tradition séculaire et la pointe extrême de la modernité, toujours au son planant de Air, qui donne le sentiment que Charlotte, le personnage qu’interprète la comédienne, danse sur les pas japonais, juste en marchant. Sofia Coppola c’est souvent très pop, avec le son des fu fighters dans Somewhere mais aussi la scène de la patinoire et le Cool de Gwen Stefani, que la cinéaste nous laisse savourer en entier, et où tant d’émotions passe entre musique et émotions de ses acteurs, dans encore et toujours, des regards des silences, de la solitude et des blessures. Mais aussi l’ensemble de la bande son endiablée de Marie-Antoinette, tout en savoureux décalage là encore, avec l’époque filmée. Et évidemment les enchaînements dans la scène iconique du Karaoké dans Lost In Translation avec entre autres le God Save The Queen version Sex Pistols. Sur cette harmonie entre son, image et puissance du récit, tout est un peu dans cette scène de Somewhere, qui a pourtant les allures d’un moment anodin et qui pourtant renverse. Père et fille sont au bord de la piscine immobiles sur leurs transats, avec le son des Strokes. Il semble que rien ne se passe alors que l’émotion est partout, sublimée par une symétrie de l’image et une musique finalement parfaitement adaptée à l’amour inconditionnel père/fille mais aussi à leurs spleens respectifs, à une façon de s’ennuyer ensemble. Comme nombre de scènes de films de Sofia Coppola, c’est la pyramide des arts. Et enfin, Sofia Coppola, c’est cette façon de filmer les femmes… : « Ma façon de changer les choses, c’est d’écrire des personnages féminins complexes et humains, loin des clichés et des stéréotypes « . Qu’il s’agisse de Virgin Suicides, Marie-Antoinette ou même de Les proies (2017), (dans lequel, elle casse quand même ses codes), il ne s’agit pas réellement de féminisme revendiquée ou chevillée ou corps, mais un féminisme de vie, de complexité et donc d’une grande intelligence. La femme est magnifiée, sanctuarisée dans la caméra de Sofia, car elle est juste d’abord un être humain dans une profondeur, des blessures, souvent un décalage et toujours une terrible solitude. Elle fera exactement la même chose, cette fois-ci pour une fois avec un homme, dans Somewhere. Et c’est toujours cette façon d’aller filmer avec cette élégance du désespoir la douleur chez l’autre, qui à coup sûr touche le spectateur. Elle est une anthropologue de l’exploration des méandres de la solitude et de l’enfermement. Et puis, car on jamais envie de finir quand on écrit sur une artiste aussi raffinée, délicate, qui vous réconcilie avec ce qui peut parfois ronger le quotidien, comment ne pas conclure sur cette trace indélébile pour le cinéma, l’art et la vie qu’elle nous lègue avec Lost In Translation. On ne se lui sera jamais assez reconnaissante de nous avoir offert un tel chef-d’œuvre. C’est la splendeur du non-dit et la disparition de l’espace-temps avec la candeur et l’imprévisibilité d’un sentiment amoureux naissant. C’est juste incroyablement la vie dans ses douces voluptés et ses utopies merveilleuses.
Merci Sofia, merci d’être là, on est rassurés, réconfortés, toujours perdus, mais peut-être un peu moins seuls.
Catégories :Analyse








































































































































