LIMBO (Critique)

Par William François le juillet 11, 2023 • ( Poster un commentaire )

SYNOPSIS : Dans les bas-fonds de Hong-Kong, un flic vétéran et son jeune supérieur doivent faire équipe pour arrêter un tueur qui s’attaque aux femmes, laissant leur main coupée pour seule signature. Quand toutes leurs pistes s’essoufflent, ils décident d’utiliser une jeune délinquante comme appât.

Il aura fallu 2 ans pour que le nouveau film de Soi Chang arrive jusqu’aux écrans français. Le réalisateur hongkongais, à qui l’on doit notamment Accident, Motorway et la trilogie The Monkey King, s’offre avec ce Limbo une détonation sèche en forme d’exploration néo-noir au sein d’une ville pourrie et désespérée. On y suit deux enquêteurs de police – Cham Lau, flic usé par la vie aux méthodes impulsives, et Will Ren, son tout nouveau jeune supérieur à la vision académique – mis sur la route de l’œuvre d’un étrange tueur en série fétichiste qui laisse derrière lui les mains des femmes qu’il assassine. Le duo décide alors d’utiliser Wong To, une jeune délinquante tout juste sortie de prison en recherche de rédemption, pour traquer et débusquer l’objet de leur enquête. Limbo est une œuvre multiple, à la fois récit tentaculaire façon polar classique et plongée violente dans les affres de l’esprit humain, mais aussi proposition esthétique renversante qui profite de son apparence noir et blanc pour imprimer durablement la rétine par la précision chirurgicale de son découpage. Soi Chang engage le directeur de la photographie Siu-Keung Cheng (collaborateur de Johnnie To et Wai Ka-Fai) pour signer une performance visuelle vertigineuse, faisant éclater l’apparence putride, moribonde et vénéneuse des décors majestueusement chaotiques de Kwok-Keung Mak, pour le rendre finalement à la merci du scénario hanté par les regrets, la colère et le désespoir.

Le réalisateur adapte le roman The Wisdom Tooth de Lei Mi, avec un scénario signé Kin-Yee Au et Kwan-Sin Shum, en le filmant comme un polar labyrinthique, où Hong-Kong prend des airs de ville postapocalyptique, voire infernale, jonchée de détritus en tout genre et de rebuts de la société dont les corps sont aussi malmenés que les esprits. A travers cette quête qui s’applique à détruire progressivement l’humanité de ses protagonistes (Cham Lau est présenté comme déterminé à faire appliquer sa propre justice, usant d’une violence déraisonnée uniquement poussée par son désir de vengeance) pour révéler le cœur de son récit par le personnage de Wong To. La jeune femme, à la fois déclencheur de l’intrigue et victime des évènements de part en part, est miraculeusement incarnée par la bouleversante et transcendante Cya Liu, qui retourne les codes de l’archétype de son personnage pour faire corps avec son désespoir et son besoin de rédemption. Le duo Gordon Lam et Mason Lee, majestueux et brisé par un cercle vicieux de violence, accompagne avec brio le parcours impeccablement mené du film, brillant de précision et de cruauté du début à la fin.

Soi Chang construit, avec cet impressionnant Limbo dicté par la bande-originale éclatante de Kenji Kawai, un tableau infernal absolument jubilatoire, étouffé par les injustices et les actes de violence, qui s’applique à bâtir du beau dans le désordre, le chaos, la mort et l’horreur. Limbo est une œuvre radicale, dont les quelques défauts scénaristiques paraissent bien dérisoires, qui place en exergue ses personnages maudits aux allures de fantômes lancinants à la recherche constante de l’exutoire de la vengeance, en dépit de la morale, de la raison ou du pardon.

Le récit est empoisonné, rugueux, malsain, cruel et enflammé, d’ores et déjà condamné à son ouverture par une photographie poisseuse qui ne laisse échapper aucune once de couleur et d’espoir de cette suite chaotique de tableaux dantesques. Ne restera que la fin, terrible et violente, qui vient subrepticement verser son émotion mortelle pour insuffler à son récit tout entier une raison – et une beauté – au chaos. Un sursaut d’ordre dans une montagne d’anarchie.