Critiques Cinéma

HÔTEL DU NORD (Critique)

SYNOPSIS : Un hôtel modeste au bord du canal Saint-Martin abrite une clientèle bigarrée. Pierre et Renée, un couple d’amoureux, décident d’en finir avec la vie. Ce qui va s’avérer plus difficile que prévu. Un autre couple, M. Edmond, mystérieux homme, et Raymonde, une prostituée, vont se mêler à l’histoire des amoureux désespérés.

Le film de Marcel Carné est adapté du roman éponyme d’Eugène Dabit, paru en 1929. Évidemment, le film fut imprégné d’une fameuse réplique d’Arletty sur l’atmosphère… A ce sujet, le réalisateur écrira : « Il faut dire qu’Arletty était l’âme du film. Non seulement elle transcendait certaines répliques, certains mots d’auteur que je n’aimais guère à cause de leur pittoresque outré, comme la fameuse « Atmosphère » à laquelle son talent, sa magie d’artiste, firent le succès que l’on sait. «  Tout de suite, ça grouille, ça joue, ça bruite devant l’hôtel du Nord. Les destins se croisent, et parfois s’entremêlent. C’est aussi un couple d’amoureux sur un banc.  Avant que l’on comprenne leur drame, des amoureux si jeunes et qui ont pourtant déjà l’air si blasés, mélancoliques et désespérés. La peine de Renée et Pierre est à fendre le cœur et pourtant ils semblent s’aimer, une condition indispensable au bonheur, mais qui pour eux ne paraît tellement pas suffisante. A ce point que l’on apprend qu’ils veulent mourir, rester ensemble mais dans un autre monde. Leur résignation à l’écran est bouleversante. Leurs yeux sont remplis d’amour et de détresse. Les moments que l’on passe avec eux en cet instant sont terriblement poignants. « On a que notre amour et rien de plus ». Ils veulent être libres, mourir sous une bonne étoile, avec la mort comme voyage de noces.


En bas, on fête une première communion, on boit, on mange, on rit. Le bruit de la balle de révolver face à celui des bouteilles de vin que l’on débouche à la chaîne. Dans une autre chambre, c’est Raymonde et Edmond. Moins de romantisme, mais que de gouaille !! Eux, on ne sait pas trop s’ils s’aiment mais c’est comme une bonne collaboration, une complicité presque mafieuse entre la prostituée et un homme qui laisse traîner quelques délicates affaires. Avec ces trois tableaux, c’est finalement une allégorie très universelle de la façon d’aimer. L’amour irrationnel qui rend fou, celui inconditionnel que l’on porte à un enfant, et un amour plus routinier, ménager. C’est Oscar Wilde qui disait que « les amours médiocres survivent. Les grands amours sont parfois détruits par leur propre intensité.  » Ils vont toutes et tous se croiser autour du drame des amoureux maudits Renée et Pierre, y mettre leurs humanités et médiocrités respectives. Les histoires périphériques des clients de l’hôtel permettront de véritables pauses drolatiques, avec entre autres un Bernard Blier cocu mais content totalement inoubliable. Le tout, autour de cette intrigue centrale bien plus tragique. Le récit sera servi avec des dialogues hauts en couleurs qui rythment une narration permettant au spectateur d’être toujours en connexion avec cette histoire sous forme de thriller amoureux. Même si oui, l’amour est toujours un thriller.

Morceaux choisis qui disent mieux que tout autre mot qui n’appartiendrait pas à Hôtel du Nord :

Renée à propos de Pierre : « Il faut que je l’oublie, il faut que je l’oublie. Mais pendant ce temps-là, je pense à lui. « Le piège inextricable du manque. Dans le manque, l’autre est toujours en vie.
Raymonde à Edmond : « Atmosphère, atmosphère !!! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère !!  » pour une réplique qui est donc entrée légitimement dans le panthéon des dialogues du cinéma français.
Renée et Edmond : « L’autre, tu n’as pas voulu le tuer toi. J’ai fait pire, je lui ai donné de l’espoir « . Peut-être l’arme du crime la plus immatérielle autant que cruelle.

Dès le début, on tire un coup de feu à l’hôtel du Nord, il y en aura un autre à la toute fin. Dès le début, il y a des amoureux sur un banc, on en retrouvera un à la fin. Seront-ils les mêmes ? Les coups de feu et les coups de foudre se confondent. L’hôtel du Nord, c’est une parabole finalement très existentielle. La vie du Canal Saint-Martin, c’est ici le monde en miniature.


D’un point de vue plus formel, et presque techniquement, Hôtel du Nord connaît ce quelque chose d’assez éblouissant, avec notamment le travail de décorateur d’Alexandre Trauner, ainsi que la musique de Maurice Jaubert, qui apportent une émotion toute palpable. Les plans aussi bien sur l’hôtel, notamment en extérieur, que ceux plus resserrés, particulièrement sur le personnage de Renée, empêtrée dans ses amours contrariées, nous prennent, nous touchent.  Justement, dans le rôle de Renée, Annabella est une de ces amoureuses torturées que l’on oublie pas. Comme en pareille circonstance, beaucoup se joue dans les yeux. Les siens sont tout entier consacrées à l’amour, au manque et au désir.


Mais clairement, à l’image de la réplique culte susnommée, le duo Louis Jouvet dans le rôle d’Edmond et Arletty dans celui de Renée va crever l’écran. Elle, c’est la gouaille réincarnée. Elle nous amuse tellement dans ses agacements et sa façon de déclamer les fabuleux dialogues d’Henri Jeanson et Jean Aurenche. Louis Jouvet quant à lui, évidemment tout en froideur longiligne sera le parfait contraste pour donner la réplique à sa comparse.  Hôtel du Nord, c’est bien plus qu’une réplique, même si bien sûr on l’attend avec impatience. Une multitude d’autres pépites s’y glissent, un vrai bonheur de cinéma !!

Titre original: HÔTEL DU NORD

Réalisé par: Marcel Carné

Casting: Louis Jouvet, Arletty, Bernard Blier…

Genre: Comédie dramatique

Sortie le: 19 décembre 1938

Distribué par : –

EXCELLENT

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