Critiques Cinéma

L’ARMÉE DES OMBRES (Critique)

SYNOPSIS : France 1942. Gerbier, ingénieur des Ponts et Chaussées est également l’un des chefs de la Résistance. Dénoncé et capturé, il est incarcéré dans un camp de prisonniers. Alors qu’il prépare son évasion, il est récupéré par la Gestapo…

Jean-Pierre Melville, le réalisateur de L’armée des ombres évoque ainsi son film : « Je l’ai porté en moi 25 ans et 14 mois exactement. Il fallait que je le fasse et que je le fasse maintenant, complètement dépassionné, sans le moindre relent de cocorico. C’est un morceau de ma mémoire, de ma chair. » L’armée des ombres sera son troisième film qui observe les français sous le régime de l’occupation, après Le silence de la mer (1949) et Léon Morin, prêtre (1961). Le film s’inspire du livre du même nom de Joseph Kessel (1943), avec pour autant les propres souvenirs du cinéaste.  « Mauvais souvenirs, soyez pourtant les bienvenus. Vous êtes ma jeunesse lointaine« . C’est par cette phrase de Georges Courteline que Jean Pierre Melville plante son terrible et funeste décor, cette France des ténèbres, qu’il va filmer avec sa virtuosité unique.  Très vite, en écho, le terrible et horrifique bruit des bottes sous l’arc de triomphe. Parfois un son et une image disent tant de l’abomination planétaire, toujours tellement à nos portes. C’est en nous mais aussi si près de nous. Et clairement, la force monumentale et magistrale de L’armée des ombres, c’est précisément son glaçant réalisme avec cette imprégnation du cinéaste, qui s’est inspiré de véritables réseaux de résistance (celui de Cohors-Asturies mené par Jean Gosset et René Iché et celui de la confrérie Notre-Dame mené par Gilbert Renault). Les héros ne sont pas flamboyants, ils se cachent, et forcément se tapissent dans l’ombre, le sombre, le glauque. Il faut fuir, mais aussi déjouer, anticiper les trahisons déjà existantes et celles à venir. Des héros que l’on devine condamnés au tombeau, des sursitaires de la mort. La question n’est pas de savoir si la mort viendra, mais à quel moment. Cette bravoure est infiniment touchante. C’est la routine de la survie.

Lino Ventura porte haut le calme de l’héroïsme des justes. Il est magnifique de ce flegme triomphant des héros très discrets, qui agissent avec un naturel qui les rendent d’autant plus attachants qu’indispensables. Le film est hautement métaphorique, avec cette mise en scène comme blafarde, au bleu délavé et au noir constant. L’air est suffocant, c’est une poésie horrifique et mortifère. L’image mais aussi le son. Un film tout sauf verbeux, où chaque mot compte, et vient donner une puissance à tout ce qui passe à l’écran. C’est aussi cette incroyable musique d’Eric Demarsan (c’est en fait un extrait de la suite d’orchestre Spirituals for Strings, Choir and Orchestra , du compositeur Morton Gould), très rare dans le film et donc forcément marquante quand elle résonne et qui vient comme assombrir et dramatiser une image déjà si noire, dure et âpre. On reconnaîtra évidemment le générique de la fameuse iconique émission Les dossiers de l’écran (entre 1967 et 1991).

Le cinéma très épuré de Melville, ces plans saisissants sur ces personnages, où passent les doutes permanents, les peurs ordinaires et les passions tristes, font de L’armée des ombres comme une œuvre d’art, tant le geste de cinéma est singulier, tant l’émotion formelle nous étreint et tant le film s’ancre en nous avec la puissance de l’universel. Lino Ventura, tout comme Simone Signoret, comme finalement tous les autres sont finalement tout en silence, en introspection.

Lino Ventura incarne l’ombre à lui seul. Il est puissant de froideur, de cette pâleur désabusée des sacrifiés de la pudeur. Tout se joue sur son visage, ses mouvements et dans cet immatériel qu’il fait passer. Il n’est qu’émotion pour le spectateur. Si dans le jeu de Simone Signoret, l’on retrouve cette force du non verbal, l’actrice ici, ce sont ses yeux, la dureté et la détermination de son visage. Tout aussi impressionnante que son camarade à l’écran, ils sont inoubliables, ils sont nos ombres pour l’éternité.  Avec L’armée des ombres, Melville nous montre peu la grande histoire, mais s’appuie sur ce qui lie les camarades de la grandeur et du dévouement pour une cause si existentielle et humaine. C’est le culte du non-dit, un véritable film noir d’ambiance, véritablement radical et avec des ombres qui viennent nous hanter de leur bravoure.


Titre original: L’ARMÉE DES OMBRES

Réalisé par: Jean-Pierre Melville

Casting: Lino Ventura, Simone Signoret, Paul Meurisse …

Genre: Drame, Guerre

Sortie le: 12 Septembre 1969

Reprise le : 5 juin 2024

Distribué par : Carlotta Films

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