Critiques

LA FEMME QUI HABITAIT EN FACE DE LA FILLE A LA FENÊTRE (Critique Mini-Série) Une écriture ciselée permettant une créativité de chaque instant.

SYNOPSIS: Pour Anna, qui a le cœur brisé, les jours se suivent et se ressemblent. Elle s’assoit avec un verre de vin, regarde par la fenêtre et voit la vie se dérouler sans elle. Mais quand un charmant voisin s’installe de l’autre côté de la rue avec sa fille, Anna commence à voir le bout du tunnel. Jusqu’au jour où elle est témoin d’un meurtre horrible… ou pas ?

Dès les premières minutes, l’installation de l’intrigue et des personnages est redoutable et incisive. Il y a les névroses exacerbées d’Anna avec ses verres de vins qui ne s’arrêtent jamais, on veut les mêmes… Car avec un seul de ses verres, vous videz la bouteille, qu’Anna siffle à une vitesse intersidérale assez sidérante et toujours dans une dignité totale.  Est présente dans la série une dramaturgie quasi hitchcockienne des terreurs d’Anna, teintée d’un humour d’une délicieuse férocité et à peu près tout le temps absurde qui contrebalance sans arrêt avec des objets plus dramatiques de la vie d’Anna, qui nous fait passer par une farandole d’émotions en un temps pourtant très restreint… Très vite, après quelques minutes seulement, on se dit qu’on va jouer…  On pense aussi aisément que si ce rythme effréné tient à l’épreuve de la durée, et que la série arrive à tenir un récit narratif qui monte en puissance comme il se doit, avec cerise sur le gâteau, ou gruyère sur le gratin au poulet, un format possiblement haletant de 28 minutes par épisode, alors le piège de l’addiction et du binge watching va se refermer délicieusement sur nous.

Et c’est en effet ce qu’il se passe tant il existe un jeu constant, pour une série, où tout est déjà dans le titre. Celui-ci… fait pour être oublié, tant il est insupportable et absurdement descriptif… La femme qui habitait en face de la fille à la fenêtre . La mécanique en est la parodie absolue de tous les classiques du genre, façon thrillers clinquants et de la montagne vertigineuse de clichés qui vont avec. Sauf que cette parodie-ci est très souvent induite, un peu cachée, avec l’art de l’usage du second plan, qui permet le déploiement constant d’un humour à tous les degrés, avec des incessants tiroirs qu’il est particulièrement plaisant d’ouvrir à mesure de chaque épisode. Il est question d’allers retours permanents entre une mécanique traumatique qui provoque l’excès et l’exagération grotesque dans les conséquences du drame vécu par Anna. Le titre évidemment nous fait entrer en Absurdie, mais le meilleur étendard de cet usage déraisonné de la dérision réside dans ce que l’on comprend progressivement du déroulé du trauma lui-même.

Point besoin de spoil alert, mais juste en explicitant quelque peu, il s’agit ici d’un morbide balancier entre le surnom le plus ridicule qu’il puisse être pour un tueur en série Mike le massacreur face à ce qu’il y a de pire, la perte d’un enfant. Cette histoire, qui déclenche toutes les autres, symbolise l’excès absolu, et le franchissement du rubicond qui ne plaira évidemment pas à tout le monde… Mais comment ne pas y trouver pleinement son compte si l’on est adepte de l’adage Desprogien de pouvoir rire de tout, mais pas avec tout le monde.

Car quand même… Qu’est-ce qu’on rit… mais qu’est ce qu’on rit… avec entre autres ce réparateur de boîte aux lettres qui n’en finit jamais, de ces cocottes à gratins qui se cassent à un rythme frénétique… Une humeur générale qui n’est pas sans rappeler les running-gags lunaires des Nuls, de la bande à Fifi devenue grande, ou même de Parker Lewis pour les  lecteurs plus âgés… Et finalement de tous les manieurs d’ironie et de galéjades en série, chacun-e- pourra y trouver de multiples références. C’est aussi, et il faut impérativement le signifier une remarquable série sur le trauma. Dans toute sa dimension mortifère et avec ce caractère d’impasse infranchissable et insurmontable. Dans un trauma, tout fait très vite écho, tout fait nerf, tout fait sens, et devient propice à une folie douce possiblement assez dangereuse, ce qui est magistralement le cas avec Anna dans les chaussons d’une anti-héroïne iconique…  Il est rare et donc assez jouissif de trouver dans une production de ce type un tel humour irrévérencieux et corrosif aussi efficace avec autant de répliques cinglantes. Il y a dans La femme qui habitait en face de la fille à la fenêtre (sic…) un esthétisme d’éloquence, une écriture ciselée, qui permettent une créativité de chaque instant. On se fait donc surprendre un peu sans arrêt quand même, et c’est terriblement orgasmique sans exagération aucune là non plus… A l’image de l’art du cliffhanger avec un abus bien sûr assumé et qui contribue de fait à l’addiction pour cette série, et même à l’identification pour les plus névrosés d’entre nous…

Justement, les fameuses névroses exacerbées d’Anna filmées au plus près sont souvent déroutantes… Dans ce que l’on pourrait qualifier «  d’addictions dioégniques  », sorte de double peine ou en plus d’une forme d’alcoolisme évident, elle collectionne les bouchons le liège dans un saladier… Sans doute pour s’auto-infliger constamment sous son nez les conséquences de sa folie douce et plus ou moins maîtrisée. On rit avec elle et jamais d’elle, on est aussi très affecté par son haut niveau de désespoir. C’est aussi tout ça cette série, c’est foisonnant à souhait, imaginatif, surprenant et hautement esthétisant.  Pour comprendre l’état d’esprit de cette série, rien de mieux que la citation suivante, issue des réflexions avinées de notre héroïne prodigieuse :

«  Quand on veut aller au fond du problème, il faut garder à l’esprit que si on n’est pas prêt à prendre des risques, on risque de ne pas y arriver. Le plus grand risque qu’on puisse prendre, c’est de ne rien risquer. Et si on ne risque rien, la seule chose qu’on obtient, c’est le risque de ne pas aller au fond du problème. Et en allant pas au fond du problème, on prend de très gros risques…  »

Absurde et forcément très vrai en même temps, qui a des allures du cultissime « On ne peut pas tromper mille fois une personne… etc.. » 

Sans parler d’une photographie soignée et harmonieuse, sorte de ripolinage à la Desperate Housewives, avec cette angoisse latente en sus… Et avec une omniprésence à l’image de Kristen Bell, à toutes les scènes de tous les épisodes, avec tous les types de plans imaginables, qui créée une sensation d’excès, mais surtout d’attachement certain à Anna. Presque une addiction de plus dans l’addiction… Justement… Kristen Bell… Quel numéro… Elle est à toutes les sauces, complètement obsessionnelle, à en devenir elle-même un objet obsédant… Elle nous fait peur… puis rire… puis peur à nouveau… Elle caméléonise à souhait une palette impressionnante d’émotions, semble même en inventer parfois et c’est comme une incommensurable extase de déambuler avec elle dans d’interminables méandres émotionnels. Il serait d’une rare facilité et d’une haute médiocrité d’affirmer que dans ce rôle déjantée, Kristen Bell est à la… good place… Jubilons avec elle et faisons finalement nôtre la philosophie carpe diemesque d’Anna, façon Walt Whitman sous acide… : «  Il faut profiter de la vie… et des gratins au poulet  » …

Crédits: Netflix France

1 réponse »

  1. Tellement fan de cette actrice, je la suis depuis Gracie’s Choice.

    Mary Jane, Veronica mars, ella bishop, Eleanor Shellstrop, Uda Bengt (party down), anna, dingue la non ressemblance de tous ces rôles, cette actrice est un vrai caméléon et ce très agrèable.
    J’ai pris beaucoup de plaisir sur cette série.

Laisser un commentaire