Critiques Cinéma

MÉDECIN DE NUIT (Critique)

SYNOPSIS : Mikaël est médecin de nuit. Il soigne des patients de quartiers difficiles, mais aussi ceux que personne ne veut voir : les toxicomanes. Tiraillé entre sa femme et sa maîtresse, entraîné par son cousin pharmacien dans un dangereux trafic de fausses ordonnances de Subutex, sa vie est un chaos. Mikaël n’a plus le choix : cette nuit, il doit reprendre son destin en main. 

A en juger par la filmographie du réalisateur Elie Wajeman, il y avait avec Médecin de nuit  comme une évidente cohérence, tant il semble avoir mis dans le film qui nous intéresse aujourd’hui un condensé du meilleur de chacune de ses réalisations précédentes.  En effet, on y retrouve la même obscurité nerveuse que pour son premier long métrage Alyah, dans lequel il torturait déjà à souhait Pio Marmaï. La complexité des choix et la difficulté du renoncement, entre tourmentes et contradictions qui étaient prégnants dans Les anarchistes. Et enfin un sens de l’intrigue et une montée en puissance de la tension narrative que l’on voit au plus près dans sa réalisation des épisodes 5 et 6 de la saison 2 de la désormais iconique série Le bureau des légendes. Clairement avec Médecin de nuit, Elie Wajeman réalise là un polar hyper nerveux, un film noir avec une parfaite maîtrise des codes inhérents à ce film de genre. Médecin de nuit a d’ailleurs reçu le prix Jacques Deray du meilleur film policier pour lequel « Le jury a distingué ce film pour sa mise en scène, son ambiance, son style nerveux, la qualité de ses interprètes et le traitement sans détour de son sujet, brûlant d’actualité. Médecin de nuit porte la marque du cinéma de genre : donner à voir, à travers une histoire particulière, une photographie de son époque « ,



C’est en effet la « petite histoire de ce médecin de nuit dans ses turbulences et intenses névroses dans la grande histoire de Paris la nuit… Un Paris vicieux et sale, drogué et malade, que seul Vincent Macaigne ne saurait guérir. Il y a là une force scénaristique qui nous amène à savoir qu’un drame va se jouer… Mais précisément sans deviner les proportions et réelles implications de celui-ci. L’imprévisibilité est également un des multiples atouts de Médecin de nuit… Le spectateur est comme en permanence pris à témoin même souvent pris à la gorge de la forme de bipolarité contemporaine de Mickaël (Vincent Macaigne) qui est une source d’angoisse constante. C’est également un film sur l’impossibilité du choix, la complexité du renoncement… qui fait forcement écho et résonance au commun des mortels, dans la mesure où Elie Wajeman vient frapper à la porte de nos placards pour y sortir tous les squelettes. Le polar, ce formidable révélateur de l’âme humaine. Car il est impossible de ne pas être en empathie avec le personnage de Vincent Macaigne, dans toute son humanité et son sens inné de l’autre. D’autant que sur la forme, il est omniprésent à l’écran, et filmé sous tous les plans. Notamment, lors d’une scène avec un plan panoramique autour de lui qui vient renforcer toute son ambivalence, ses doutes, ses envies contredites. Cette subtilité de la mise en scène est également servie par une qualité de la photographie qui noircit une image tout en contrastant avec quelques moments plus lumineux, qui sont en phase totale avec l’ambiance de sombre polar et les circonvolutions émotionnelles permanentes du personnage principal.  


La technicité de dentelle dans la réalisation et cet ensemble esthétique nous laisse littéralement accrochés à notre siège. Nous sommes dans la rue avec Vincent Macaigne, dans sa voiture, à l’appart… Justement, la performance de l’acteur est ici éblouissante. Au regard de son éclectique et foisonnante filmographie avec notamment des choix fins et audacieux, nous le savions totalement polymorphe, mais, il va plus loin encore dans Médecin de nuit, tant il déploie une densité impressionnante et qui semble exponentielle… Son charisme est en effet électrisant dans ce rôle de drôle d’humaniste totalement désabusé mais militant et qui face à une institution désincarnée, s’engage jusqu’au trop plein pour celles et ceux qu’on ne saurait voir, dans la spirale mortifère d’une pathologie poly toxicomaniaque… Son personnage s’oublie complètement et se donne sans mesure. Cet oubli met le mouchoir sur sa douce alinéation affective et sa faille narcissique que l’on devine béante. Très vite, (et sans spoil aucun), on comprend que le déchirant ultimatum amoureux et familial qui lui est posé par Sacha (Sarah Le Picard) va nous oppresser et nous bouleverser… Même si quasi dans la minute suivante, il embrasse Sofia la pharmacienne (Sara Giraudeau) dans l’arrière-boutique en douce… Émerge alors ici toute la complexité existentielle amoureuse des bipèdes animaux sociaux pétris de paradoxes, que Vincent Macaigne incarne avec une déconcertante authenticité. On a envie de croire avec lui que tout va s’arranger… Quand il le répète tel un leitmotiv… Dans cette drôle de nuit où tous ses choix vont devoir être assumés. Il veut certes que tout s’arrange avec Sacha… Mais propose en parallèle à Sofia de tout planter et de le suivre… Le pire étant qu’il est sincère à chaque fois dans ses contradictions, comme autant de contractions affectives…


Il vit sans doute trop intensément l’instant présent, Il aide les autres, les drogués quand lui justement se drogue à l’autre…  On partage cette solitude nocturne au gré des consultations qu’elles soient dans les appartements pour une médecine conventionnelle ou dans la voiture lorsque le docteur devient dealer, mais sans que nous ayons à juger, tant la complexité est partout. L’approche non manichéenne est également un parti pris scénaristique qui est un choix fort dans Médecin de nuit. Comment ne pas également saluer la lumineuse Sara Giraudeau (on imagine volontiers qu’Elie Wajeman l’avait croisée dans Le bureau des légendes où déjà sa partition était abondante) dont l’inné désespoir, comme une souffrance ancrée est tellement bouleversant… L’intensité déraisonnée et somme toute illicite du couple qu’elle forme à l’écran avec Vincent Macaigne est autant magnétique que troublante… Médecin de nuit, autour du sang, de l’amour, de la nuit, pourrait faire penser à Irréversible de Gaspar Noé en plus propret (ce qui n’est aucunement péjoratif…) et il en émane en tous les cas une surtension latente, presque comme une anxiété réjouissante, ça fait mal tellement c’est juste… Médecin de nuit est à consumer, et si possible tard le soir…

Titre original: MÉDECIN DE NUIT

Réalisé par: Elie Wajeman

Casting: Vincent Macaigne, Pio Marmaï, Sara Giraudeau …

Genre: Drame

Sortie le: 16 juin 2021

Distribué par : Diaphana Distribution

EXCELLENT

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